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Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/225

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fique après l’avoir épiée une demi-heure, tandis qu’elle restait là les yeux à demi ouverts, comme un chat, frère ailé du chat. Il ne restait qu’une étroite fente entre les paupières, par laquelle elle conservait un rapport péninsulaire avec moi ; là, les yeux mi-clos, regardant du pays des rêves, et tâchant de se faire une idée de moi, vague objet ou atome qui interrompait ses visions. À la fin, sur quelque bruit plus accusé ou mon approche plus prononcée, la voici tourner avec malaise et indolence sur son perchoir, comme impatientée de voir ses rêves troublés ; et lorsqu’elle prit le large, battit des ailes à travers les pins, donnant à celles-là une envergure inattendue, je ne pus en entendre sortir le moindre bruit. C’est ainsi que guidée à travers les grosses branches des pins plutôt par un sentiment délicat de leur voisinage que par la vue, tâtant d’une aile sensible, pour ainsi dire son chemin crépusculaire, elle trouva un nouveau perchoir, où pouvoir attendre en paix l’aurore de son jour à elle.

En marchant le long de la longue chaussée construite pour le chemin de fer à travers les marais, il m’arriva plus d’une fois d’aller à l’encontre d’un vent impétueux et mordant, car nulle part n’a-t-il plus libre carrière ; et le gel m’avait-il frappé sur une joue, que, tout païen que je fusse, je lui présentais l’autre aussi. Il n’en allait pas mieux le long de la route carrossable qui vient du Mont Brister. Car je me rendais à la ville, comme un Indien ami, encore que le contenu des grands champs découverts fût amoncelé entre les murs de la route de Walden, et qu’il suffît d’une demi-heure pour effacer les traces du dernier voyageur. Et quand je m’en revenais, de nouveaux amas s’étaient formés, à travers quoi je peinais, là où le vent actif du nord-ouest était venu déposer la neige poudreuse autour de quelque angle aigu de la route, sans qu’une trace de lapin, pas même la fine empreinte, le petit caractère, d’une souris des champs, fût visible. Encore m’arrivait-il rarement de ne pas trouver, même au cœur de l’hiver, quelque marais tiède et tout jaillissant de sources, où le gazon et le chou-putois[1] croissaient encore avec une perpétuelle fraîcheur, où il se pouvait qu’un oiseau plus intrépide attendît le retour du printemps.

Quelquefois, en dépit de la neige, quand je m’en revenais de ma promenade le soir, je croisais les traces profondes d’un bûcheron, partant de ma porte, trouvais sa pile de copeaux sur le foyer, et ma maison remplie de l’odeur de sa pipe. Ou quelque après-midi de dimanche, étais-je par hasard au logis, que j’entendais le croquant de la neige sous les pas d’un fermier de bon sens, lequel, venu de loin par les bois, cherchait ma maison, en

  1. Le symplocarpe fétide.