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Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/230

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how der do[1] ; ou parfois seulement houou houou. Un soir, au début de l’hiver, avant que l’étang fût tout entier pris, vers neuf heures, je tressaillis à l’éclatant coup de trompette d’une oie, et, m’avançant sur la porte, entendis le bruit de leurs ailes tel une tempête dans les bois en leur vol bas au-dessus de ma maison. Elles passèrent au-dessus de l’étang dans la direction de Fair-Haven, apparemment empêchées de se poser par ma lumière, leur commodore ne cessant de trompeter avec un battement d’ailes régulier. Tout à coup un incontestable grand-duc, de tout près derrière moi, entreprit, de la voix la plus discordante et la plus formidable que j’aie jamais entendue de la part d’un habitant des bois, de répondre à l’oie à intervalles réguliers, comme résolu à dénoncer et décréditer cet intrus de la Baie d’Hudson en montrant une plus grande portée comme un plus fort volume de voix chez un indigène, pour finalement le bou-houer hors de l’horizon de Concord. Qu’est-ce qui vous prend d’alarmer la citadelle en cette heure de nuit à moi consacrée ? Croyez-vous que jamais on me surprit à sommeiller à cette heure-là, et que je n’aie poumons ni larynx tout autant que vous ? Bou-houou, bou-houou, bou-houou ! Ce fut l’une des plus perçantes discordes qu’il m’ait jamais été donné d’entendre. Et cependant, pour une oreille fine, il y avait dedans les éléments d’une concorde comme jamais ces campagnes n’en virent ni entendirent.

J’ouïs aussi la huée de la glace sur l’étang, mon grand camarade de lit en ce quartier de Concord, qu’on eût dit inquiet en son sommeil et désireux de se retourner – tourmenté par des flatuosités et de mauvais rêves ; ou bien j’étais réveillé par le craquement du sol sous l’effet de la gelée, comme si l’on eût poussé un attelage contre ma porte, pour, au matin, trouver dans la terre une crevasse longue d’un quart de mille et large d’un tiers de pouce.

Il m’arrivait d’entendre les renards en leurs courses errantes sur la croûte de neige, par les nuits de lune, en quête d’une gelinotte ou autre gibier, aboyer âprement et de façon démoniaque, tels des chiens de forêt, comme si vraiment ils prenaient de la peine, ou chercher de l’expression, se débattre pour la lumière et pour se montrer chiens tout de suite, afin de courir librement par les rues ; car si nous prenons les siècles pour nous, ne peut-il exister une civilisation en cours parmi les bêtes aussi bien que parmi les hommes ? Ils me faisaient l’effet d’hommes rudimentaires, d’hommes à terriers, encore sur la défensive, en attente de transformation. Parfois l’un d’eux s’en venait près de ma fenêtre, attiré par ma lumière, aboyait quelque imprécation vulpine à mon adresse, et battait en retraite.

  1. Pour : How do you do ? – Comment allez-vous ?