Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/255

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au fur et à mesure qu’ils deviennent plus moites, jusqu’à former un sable presque plat, encore diversement et délicieusement nuancé, mais où vous pouvez suivre les formes primitives de la végétation ; jusqu’à ce qu’enfin, dans l’eau même, ils se convertissent en bancs, comme ceux qui se forment hors des embouchures de rivières, et que les simulacres de végétation se perdent dans les rides du fond.

Tout le remblai haut de vingt à quarante pieds, est parfois revêtu d’une masse de cette espèce de feuillage, ou hernie sablonneuse, sur un quart de mille d’un ou des deux côtés, produit d’une seule journée de printemps. Ce qui appelle l’attention sur ce feuillage de sable, est la soudaineté ainsi de son apparition au jour. Lorsque je vois d’un côté le remblai inerte – car le soleil ne commence son action que sur un seul côté – et de l’autre ce luxuriant feuillage, création d’une heure, j’éprouve en quelque sorte la sensation d’être dans l’atelier de l’Artiste qui fit le monde et moi – d’être venu là où il était encore à l’œuvre, en train de s’amuser sur ce talus et avec excès d’énergie de répandre partout ses frais dessins. Je me sens pour ainsi dire plus près des organes essentiels du globe, car cet épanchement sablonneux a quelque chose d’une masse foliacée comme les organes essentiels du corps animal. C’est ainsi que l’on trouve dans les sables eux-mêmes une promesse de la feuille végétale. Rien d’étonnant à ce que la terre s’exprime à l’extérieur en feuilles, elle qui travaille tant de l’idée à l’intérieur. Les atomes ont appris déjà cette loi, et s’en trouvent fécondés. La feuille suspendue là-haut voit ici son prototype. Intérieurement, soit dans le globe, soit dans le corps animal, c’est un lobe épais et moite, mot surtout applicable au foie, aux poumons et aux feuilles de graisse (λείβω, labor[1], lapsus, fluer ou glisser de haut en bas, un lapsus ; λοβός, globus, lobe, globe, aussi lap[2], flap[3], et nombre d’autres mots) ; extérieurement une mince feuille[4] sèche, tout comme l’f et le v sont un b pressé et séché. Les radicaux de lobe sont lb, la masse molle du b (à un seul lobe, ou B, à double lobe), avec un l liquide derrière lui, pour le presser en avant. Dans globe, glb, la gutturale g ajoute au sens la capacité de la gorge. Les plumes et ailes des oiseaux sont des feuilles plus sèches et plus minces encore. C’est ainsi, également, que vous passez du pesant ver de terre au papillon aérien et voltigeant. Le globe lui-même sans arrêt se surpasse et se transforme, se fait ailé en son orbite. Il n’est pas jusqu’à la glace qui ne débute par de délicates feuilles de cristal, comme si

  1. Labor dans le sens de tomber en glissant.
  2. Giron.
  3. Chose retombante.
  4. Leaf, en anglais qui fait leaves au pluriel.