dans leurs tombes, comme d’aucuns le supposent. Nul besoin de preuve plus forte d’immortalité. Tout ne peut que vivre dans une telle lumière. Ô Mort, où était ton aiguillon ? Ô Tombe, où était ta victoire, alors ?[1]
Notre existence au village croupirait sans les forêts et les prairies inexplorées qui l’entourent. Il nous faut le tonique de la nature inculte – de temps à autre patauger dans les marais où guettent le butor et le râle, et entendre le grondement de la bécassine ; renifler la senteur du roseau murmurant là où seul quelque oiseau plus sauvage et plus solitaire bâtit son nid, et le vison rampe le ventre au ras du sol. Empressés à tout explorer et tout apprendre, nous requérons en même temps que tout soit mystérieux et inexplorable, que la terre et la mer soient infiniment sauvages, non visitées, et insondées par nous parce qu’insondables. Nous ne pouvons jamais avoir assez de la Nature. Il nous faut nous retremper à la vue de la vigueur inlassable, de contours puissants et titanesques – la côte avec ses épaves, la solitude avec ses arbres vivants et ses arbres morts, le nuage chargé de tonnerre, la pluie qui dure trois semaines et produit des inondations. Il nous faut voir nos bornes dépassées, et de la vie librement pâturer où jamais nous ne nous égarons. Nous sommes ragaillardis à la vue du vautour en train de se repaître d’une charogne qui nous dégoûte et nous décourage, repas d’où il tire santé et force. Il y avait dans le sentier conduisant à ma maison un cheval mort, qui me forçait parfois à me détourner de mon chemin, surtout la nuit lorsque l’air était lourd, mais la certitude qu’il me donna du robuste appétit et de l’inébranlable santé de la Nature compensa pour moi la chose. J’aime à voir que la Nature abonde de vie au point que les myriades puissent sans danger se voir sacrifiées et laissées en proie réciproque ; que de tendres organismes puissent être avec cette sérénité enlevés à l’existence en étant écachés comme pâte – têtards que les hérons engloutissent, tortues et crapauds écrasés sur la route ; et que parfois il a plu de la chair et du sang ! Étant donné la fréquence de l’accident, nous devons voir le peu de compte qu’il faut en tenir. L’impression qu’en éprouve le sage est celle d’innocence universelle. Le poison n’est pas empoisonné après tout, pas plus que ne sont fatales nulles blessures. La compassion est un terrain fort intenable. Il lui faut être expéditive. Ses arguments ne supporteront pas de se voir stéréotypés.
Dès les premiers jours de mai, les chênes, hickorys, érables et autres arbres tout juste bourgeonnant parmi les bois de pins qui entourent l’étang, impartissaient au paysage un éclat comparable à la lumière du soleil, surtout les
- ↑ Paul, Épître aux Corinthiens, ch. XV.