Il vaudrait la peine de construire avec plus encore de mûre réflexion que je ne fis, en se demandant, par exemple, où une porte, une fenêtre, une cave, un galetas, trouvent leur base dans la nature de l’homme, et peut-être n’élevant jamais d’édifice, qu’on ne lui ait trouvé une meilleure raison d’être que nos besoins temporels mêmes. Il y a chez l’homme qui construit sa propre maison un peu de cet esprit d’à-propos que l’on trouve chez l’oiseau qui construit son propre nid. Si les hommes construisaient de leurs propres mains leurs demeures, et se procuraient la nourriture pour eux-mêmes comme pour leur famille, simplement et honnêtement, qui sait si la faculté poétique ne se développerait pas universellement, tout comme les oiseaux universellement chantent lorsqu’ils s’y trouvent invités ? Mais, hélas ! nous agissons à la ressemblance de l’étourneau et du coucou, qui pondent leurs œufs dans des nids que d’autres oiseaux ont bâtis, et qui n’encouragent nul voyageur avec leur caquet inharmonieux. Abandonnerons-nous donc toujours le plaisir de la construction au charpentier ? À quoi se réduit l’architecture dans l’expérience de la masse des hommes ? Je n’ai jamais, au cours de mes promenades, rencontré un seul homme livré à l’occupation si simple et si naturelle qui consiste à construire sa maison. Nous dépendons de la communauté. Ce n’est pas le tailleur seul qui est la neuvième partie d’un homme[1] ; c’est aussi le prédicateur, le marchand, le fermier. Où doit aboutir cette division du travail ? et quel objet finalement sert-elle ? Sans doute autrui peut-il aussi penser pour moi ; mais il n’est pas à souhaiter pour cela qu’il le fasse à l’exclusion de mon action de penser pour moi-même.
C’est vrai, il est en ce pays ce qu’on nomme des architectes, et j’ai entendu parler de l’un d’eux au moins comme possédé de l’idée qu’il y a un fond de vérité, une nécessité, de là une beauté dans l’acte qui consiste à faire des ornements d’architecture, à croire que c’est une révélation pour lui. Fort bien peut-être à son point de vue, mais guère mieux que le commun dilettantisme. En réformateur sentimental de l’architecture, c’est par la corniche qu’il commença, non par les fondations. Ce fut seulement l’embarras de savoir comment mettre un fond de vérité dans les ornements qui valut à toute dragée de renfermer en fait une amande ou un grain de carvi, – bien qu’à mon sens ce soit sans le sucre que les amandes sont le plus saines – et non pas comment l’hôte, l’habitant, pourrait honnêtement bâtir à l’intérieur et à l’extérieur, en laissant les ornements s’arranger à leur guise. Quel homme doué de raison supposa jamais que les ornements étaient quelque chose d’extérieur et de tout bonnement dans la peau, – que si la tortue possédait une carapace
- ↑ Allusion au dicton suivant lequel : Il faut neuf tailleurs pour faire un homme.