Aller au contenu

Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/66

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

toujours fait et crois que j’aurais encore occasion de le faire, ce fut souvent au détriment de mes arrangements domestiques. Mais le dîner dehors, étant, comme je l’ai établi, un facteur constant, n’affecte en rien un état comparatif comme celui-ci.

J’appris de mes deux années d’expérience qu’il en coûterait incroyablement peu de peine de se procurer sa nourriture nécessaire même sous cette latitude ; qu’un homme peut suivre un régime aussi simple que font les animaux, tout en conservant santé et force. J’ai dîné d’une façon fort satisfaisante, satisfaisante à plusieurs points de vue, simplement d’un plat de pourpier (Portulaca oleracea) que je cueillis dans mon champ de blé, fis bouillir et additionnai de sel. Je donne le latin à cause de la saveur du nom vulgaire. Et, dites-moi, que peut désirer de plus un homme raisonnable, en temps de paix, à l’ordinaire midi, qu’un nombre suffisant d’épis de maïs verts bouillis, avec l’addition de sel ? Il n’était pas jusqu’à la petite variété dont j’usais qui ne fût une concession aux demandes de l’appétit, et non de la santé. Cependant les hommes en sont arrivés à ce point que fréquemment ils meurent de faim, non par manque de nécessaire, mais par manque de luxe ; et je connais une brave femme qui croit que son fils a perdu la vie pour s’être mis à ne boire que de l’eau.

Le lecteur remarquera que je traite le sujet à un point de vue plutôt économique que diététique, et ne s’aventurera pas à mettre ma sobriété à l’épreuve qu’il n’ait un office bien garni.


Le pain, je commençai par le faire de pure farine de maïs et sel, vrai « hoecakes »[1], que je cuisis devant mon feu dehors sur un bardeau ou le bout d’une pièce de charpente scié en construisant ma maison ; mais il avait coutume de prendre le goût de fumée et un arôme de résine. J’essayai aussi de la fleur de farine, mais ai fini par trouver un mélange de seigle et de farine de maïs aussi convenable qu’appétissant. Par temps froid ce n’était pas mince amusement que de cuire plusieurs petits pains de cette chose les uns après les autres, en les surveillant et les retournant avec autant de soin qu’un Égyptien ses œufs en cours d’éclosion. C’étaient autant de vrais fruits de céréales que je faisais mûrir, et qui avaient à mes sens un parfum rappelant celui d’autres nobles fruits, lequel je retenais aussi longtemps que possible en les enveloppant d’étoffe. Je fis une étude de l’art aussi antique qu’indispensable de faire du pain, consultant telles autorités qui s’offraient, retournant aux temps primitifs et à la première invention du genre sans levain, quand de la

  1. Galettes minces de farine de maïs, propres aux États-Unis.