Page:Thoreau - Walden, 1922.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

opposée, à un demi-mille de là, couverte de bois comme le reste, était mon plus lointain horizon. La première semaine, toutes les fois que je promenai mes regards sur l’étang, il me produisit l’impression d’un « tarn »[1] en l’air sur le seul flanc d’une montagne, son fond bien au-dessus de la surface des autres lacs, et, au moment où le soleil se levait, je le voyais rejeter son brumeux vêtement de nuit, pour, çà et là, peu à peu, ses molles rides révéler ou le poli de sa surface réfléchissante, pendant que les vapeurs, telles des fantômes, se retiraient furtivement de tous côtés dans les bois, ainsi qu’à la sortie de quelque conventicule nocturne. La rosée même semblait s’accrocher aux arbres plus tard dans le jour que d’habitude, comme sur les flancs de montagnes.

Ce petit lac était sans prix comme voisin dans les intermittences d’une douce pluie d’août, lorsque à la fois l’air et l’eau étant d’un calme parfait, mais le ciel découvert, le milieu de l’après-midi avait toute la sérénité du soir, et que la grivette chantait tout à l’entour, perçue de rive à rive. Un lac comme celui-ci n’est jamais plus poli qu’à ce moment-là ; et la portion d’air libre suspendue au-dessus de lui étant peu profonde et assombrie par les nuages, l’eau, remplie de lumières et de réverbérations, devient elle-même un ciel inférieur d’autant plus important. Du sommet d’une colline proche, où le bois avait été récemment coupé, il était une échappée charmante vers le Sud au-delà de l’étang, par une large brèche ouverte dans les collines qui là forment la rive, et où leurs versants opposés descendant l’un vers l’autre suggéraient l’existence d’un cours d’eau en route dans cette direction à travers une vallée boisée, quoique de cours d’eau il n’en fût point. Par là mes regards portaient entre et par-dessus les vertes collines proches sur d’autres lointaines et plus hautes à l’horizon, teintées de bleu. Que dis-je ! en me dressant sur la pointe des pieds, je pouvais entrevoir quelques pics des chaînes plus bleues et plus lointaines encore au nord-ouest, ces coins vrai-bleu de la frappe même du ciel, ainsi qu’une petite partie du village. Mais dans les autres directions, même de ce point, je ne pouvais voir par-dessus ou par delà les bois qui m’entouraient. Il est bien d’avoir de l’eau dans son voisinage, pour donner de la balance à la terre et la faire flotter. Il n’est pas jusqu’au plus petit puits dont l’une des valeurs est que si vous regardez dedans vous voyez la terre n’être pas continent, mais insulaire. C’est aussi important que sa propriété de tenir le beurre au frais. Lorsque je regardais du haut de ce pic par-dessus l’étang du côté des marais de Sudbury, qu’en temps d’inondation je distinguais surélevés peut-être par un effet de mirage dans leur vallée fumante, comme une

  1. Petit lac parmi les montagnes.