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22 PROVERBES


stres les tiennent par la queuë, ils sont asseurez d'en estre si proches, que mal-aisément se pourroient elles esgarer pour estre perdues. Il signifie aussi que celuy à qui quelque affaire touche le plus, ne peut & ne doit auoir meilleur solliciteur que soy-mesme, comme estant celuy auquel le proffit ou dommage en touche de plus pres ; Et aussi que celuy qui a quelque chose à garder y doit veiller plus soigneusement que ceux qui n'y ont aucun interest.

Auoir du nez.

Quand on veut donner ce los à quelqu’vn d’estre bien aduisé, accort, entendu & preuoyant de loin tous accidens, pour ne se laisser surprendre, on dit ordinairement, Cet homme a du nez. Et ceste similitude est prise de la sagacité & aigu odorat des chiens de chasse, lesquels au sentiment du nez, la teste baisse contre terre, descouurent & suyuent tous les tours & entortillemens des bestes qu'ils pourchassent. Les Latins en vsent en autre signification, car voulant signifier estre mocqueur ils disent, Nasum habere. Et Homo nasutus, est autant comme vn homme mocqueur.

De ce mesme mot de nez, est encore fait vn autre prouerbe, asçavoir, Mener par le nez. Et cela se dict des personnes esquels y a si peu d'entendement & de resistence, qu'ils se laissent persuader, ou dissuader ce qu'on veut ; Tout ainsi qu'vn bufle ayant vne boucle au trauers du nez.

Ce mesme nez nous fournit d’vn autre prouerbe, qui est, Il a autant de nez. Et cela se dit quand quelqu'vn ayant entrepris de faire quelque chose, manque d'en venir à bout, & partant demeure confuz & tout honteux : Mais la grace de ce dicton est quād il est accompagné d'vn geste propre à cela, qui est que l'on serre les deux poings clos de tous les doigts, reserué les deux poulces, l'vn desquels se ioinct au bout du nez et l'autre, au petit doigt d'iceluy, de sorte qu'ainsi rangez ils peuuent faire la longueur d'vn bon carrier d'aulne de Paris. C'est la figure que les Grecs nomment παρεπίγραφη, asçauoir quand on represente δεικλικώζ, comme ils parlent, ce qu'on veut dire. Il y a encor vne autre façon de parler prouerbiale, prise de ce mesme nez, asçauoir quand quelqu'vn fait à vn autre vne demande trop curieuse, & de chose dont on n'a que faire : Comme est, que faites vous là ? La response ordinaire est, ie regarde qui a le plus beau nez. Cela se dit d'autant qu'entre gens vertueux, c'est vne vanité de les regarder au nez s'ils l'ont beau, comme si c'estoient des femmes, la beauté desquelles depend vne grande partie de la forme du nez. Il se dict aussi quand quelqu'vn s'arreste & s'amuse beant à regarder quelque chose friuole, comme celuy lequel se trouuant en quelque grande assemblée, s'occuperoit du tout à contempler lequel de tous auroit le plus beau nez.

Item, Se prendre par le nez, qui signifie se recognoistre soy-mesme entaché de quelque vice qu'on reproche à vn autre.

Ou la cheure est liée, faut qu'elle broute.

Ce prouerbe nous apprend que quand nous sommes en quelque cōdition aduenuë, non de nostre propre volonté & election, mais comme par quelque maniere de force & contrainte, encor qu'elle nous soit peu agreable, il faut neanmoins s'y accomoder, & ne laisser de faire nostre deuoir en icelle ; Tout ainsi que la cheure qu'on meine paistre aux champs auec vne corde, au premier buisson qu'il plaist à son maistre de l'attacher, il faut necessairement qu'elle y prenne sa pasture encor qu'à l'entour d'elle elle en voys d'autre qu'elle aymeroit mieux.

Ietter la poudre aux yeux.

Ceux qui aciennement couroyent pour gaigner le prix de vistesse, estoient ensemble egalement retenuz en vne certaine ligne ou barriere, que les Latins appelloient Carceres. Et si tost que le signe de partir leur estoit donné, & ceste barriere ouuerte, c'estoit lors à qui mieux doubleroit le pas, iusques à tant qu'ils peussent paruenir à la borne eslevée & plantée au bout de la carriere, appelée des mesmes Latins Meta, & celuy qui premier y arriuoit estoit victorieux. Or d'autant que toute ceste carriere estoit bien applanie & semée de menu sable, il aduenoit que les coureurs par la frequente agitation des pieds, excitoient vne grande pousiere, de sorte que quiconque demeuroit, sembloit jetter ceste poudre aux yeux de ceux qui le suyuoient, ne pouuant courir si fort que luy. Doncques par metaphore ce prouerbe est vsurpé, quand deux ou bien plusieurs entreprenans vne mesme chose, on dict de celuy qu'on estime en deuoir venir mieux à bout : Il jettera à tous les autres la poudre aux yeux : Les Latins en vsent en autre signification, quand ils disent : Oculis puluerem offundere.

De l'arbre d'vn pressoir le manche d'vn cernoir.

Ce prouerbe semble peculier aux Campenois au langage desquels la plus longue, espeçe, grosse & massiue piece de bois, qui soit en vn pressoir, est appelée arbre. Et cernoir est vn petit instrument, ayant le manche de la longueur de trois doigts, & espesseur d'vn poulce, & le fer sortant dudit manche, de la longueur d'enuiron deux doigts, ayant la taille & la poincte toute mousse, & le dos esleué en bosse comme faisant vne forme de


triangle : De cest instrument les villageois & autres fendent les noix, lors qu'elles commencent à estre bonnes à manger, & ne laissent encor l'escalle, & en tirent les noix parties en deux, que l'on appelle communément des cerneaux. Or ce prouerbe s'applicque à ceux lesquels faisans quelque besongne, la tiennent, retiennent, manient & remanient tant de fois, en ostant tousiours quelque chose peu à peu, qu'en fin ils la reduisent quasi à rien. Tout ainsi que seroit vn charpentier ou autre ouurier de bois, lequel passeroit & repasseroit si souuent & tant de fois la coingnée sur ceste grosse piece de pressoir, qu'on appelle arbre, qu'en fin il la reduiroit propre à faire vn manche de cernoir.

Qui parle du loup en void la queuë.

L’usage de ce prouerbe est quand aucun suruient à l'improuiste, lors que l'on tient propose de luy : C'est ce que les Latins disent, Lupus in fabula. On peut voir à ce propos ce que amplement en a escrit Erasme en ses Chiliades.

Fermer l'estable quand les cheuaux sont pris.

C’est à dire, se donner garde & vouloir empescher que quelque chose n’aduienne, apres que s’en est desia fait. Comme si aucun ayant des cheuaux en vne estable seroit paresseux ou ne s'adviseroit d'en fermer la porte, sinon apres que les cheuaux seroyent desia desrobez & enleuez : De mesme signification est cestuy-cy, Faire vn restaurant à quelqu'vn, apres qu'il est mort. Et, Le secours des Venitiens, trois iours apres la bataille. Dont l'histoire est assez cogneuë.

A beau ieu beau retour.

Cecy se dict quand aucun sçait bien rendre la pareille, & se vanger du desplaisir qu’on luy fait. Il semble estre pris de ceux qui ioüans à la paulme se sçauent bien renuoyer l'esteuf l'vn à l'autre.

Estre au nid de la pie.

Qund quelqu’vn est monté au plus haut degré de sa fortune, on vse communement de ce prouerbe. Car le naturel de la pie est, de faire son nid sur les plus hauts arbres qu'elle peut choisir.

Vouloir voler auant qu'auoir des aisles.

Ce prouerbe est contre celuy lequel veut entreprendre quelque chose deuant que d'y estre bien preparé, & d'auoir tout ce qui est propre & requis à cela. Il est tiré des petits oyseaux, lesquels se hazardans de prēdre leur vol deuant qu'ils ayent assez de plumes & les aisles fortes, tombent à terre & seruent de proye au premier qui les rencontre, soit homme ou beste.

Compter sans son hoste.

Ce prouerbe veut dire que l’on ne peut bien traicter, accorder, ni resouldre de quelque affaire auec vn autre y ayant interest, s'il n’y est appelé & present. Tout ainsi que voulant partir de l’hostelerie ou l’on a fait quelque despence, il ne sert de rien d'en faire la supputation & calcul tout seul & à part soy, si l'hoste ni est present & consentant. Partant on dict communement : Qui compte sans son hoste, il faut qu'il compte deux fois.

Tant va le pot à l'eau qu'il brise.

Cecy se dict contre ceux lesquels se confians en leur bonheur, pour s'estre souuent mis en hazard & beaucoup de dangers, dont ils sont eschappez, y retournent tant de fois qu’à la fin ils y demeurent du tout. C’est vne similitude prise de ces cruches & pots de terre que l’on porte à la fontaine, ou au puits pour emplir d’eau, & sont continuellement en hazard d'estre cassez, heurtans contre quelque pierre ou autre chose plus dure qu’eux. Ce que ayans euité & demeuré entiers en ce seruice, quelquefois par vn bien long espace de temps aduient neant-moins, qu’apres beaucoup de voyages ils sont chocquez, & par consequent mis en pieces.

Pape & puis musnier.

Ce prouerbe est cōtre ceux lesquels apres auoir esté constituez & esleuez en quelque haut degré d'estat & dignité, tombent en vne vile & basse condition. Comme si quelqu'vn ayant esté quelque temps Pape, venoit à estre vn simple musnier. Il arriue beaucoup de disgraces de fortune aux grands, qui peuuent fournir le peuple à ce prouerbe ; Tesmoing Denis le Tyran de Syracuse, qui fut reduit à estre maistre d'escole. De nostre temps le Roy de Portugal s'est veu long temps à la cadene comme forsat, & ayant trouué moyen de se sauuer, n'a peu trouuer celuy de se restablir.

Tirer les vers du nez.

L'vsage de ce prouerbe est quand quelqu'vn par subtiles & desguisées interrogations, sans faire semblant d'y penser, faict tant que de propos à autre, il induict vn autre, à confesser & declarer ce qu'il vouloit sçauoir de luy. L'origine de ce prouerbe vient des pipeurs charlatans, qui font a croire aux simples gens beaucoup de telles riottes, affin d'auoir cependant le loisir de vuyder leur gibeciere.

Manger son auoine en son sac.

Quand les personnes sont tellemēt auares, sordides, & tenans,