Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/227

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la nuit. Le lendemain ils accordèrent aux ennemis la permission d’enlever les leurs. Il avait péri à peu près deux cent soixante Syracusains et alliés. Les vainqueurs recueillirent les ossemens de leurs compagnons. Leurs pertes, en y comprenant celles des alliés, ne montaient qu’aux environs de cinquante hommes. Chargés des dépouilles des ennemis, ils retournèrent à Catane : car on était dans la mauvaise saison, et ils ne se croyaient pas en état de continuer la guerre avant d’avoir fait venir d’Athènes, et de chez leurs alliés du continent, de la cavalerie, pour n’avoir pas dans cette partie une entière infériorité. Ils voulaient aussi recueillir de l’argent de la Sicile, en faire venir d’Athènes, et attirer à eux quelques villes ; après la bataille qu’ils venaient de gagner, ils espéraient les trouver plus faciles à se soumettre : enfin ils songeaient à se procurer des munitions de bouche et tout ce dont ils avaient besoin, pour commencer au printemps leurs attaques contre Syracuse.

LXXII. Ce fut dans cette pensée qu’ils se retirèrent à Naxos et à Catane pour y prendre leurs quartiers d’hiver. Les Syracusains ensevelirent leurs morts et convoquèrent une assemblée. Hermocrate, fils d’Hermon, prit la parole ; homme qui, dans toutes les affaires, ne le cédait en sagesse à personne, et d’ailleurs distingué par ses talens militaires et par sa valeur. Il enhardit les citoyens, et ne leur permit pas de céder au dernier événement : leur courage, disait-il, n’avait pas été abattu ; ce n’était que le défaut de discipline qui leur avait fait tort. Ils n’avaient pas eu même autant d’infériorité qu’on aurait pu le craindre, ayant surtout à combattre les plus habiles guerriers de la Grèce, comme des hommes sans art, qui auraient à lutter contre des artistes exercés. La multiplicité de leurs généraux (car ils en avaient quinze), le partage du commandement, l’anarchie d’une foule de guerriers, postés sans ordre, voilà surtout la cause de leur défaite. Mais si l’on nommait un petit nombre de généraux expérimentés ; s’ils exerçaient les troupes pendant l’hiver, si, pour avoir un grand nombre d’hommes complètement armés, ils donnaient des armes à ceux qui n’en avaient pas ; s’ils les forçaient à remplir toutes les parties du devoir militaire, il était probable, disait-il, qu’on l’emporterait sur les ennemis. Ils avaient déjà le courage ; ils y joindraient la discipline, et ces deux qualités feraient elles-mêmes des progrès : la discipline en s’exerçant au milieu du danger ; le courage, en se rendant supérieur à lui-même, par la confiance que donne l’habileté. Il fallait, ajoutait-il, élire peu de généraux, leur donner de pleins pouvoirs, et s’engager envers eux, par serment, à les laisser commander au gré de leur prudence : de cette manière, ce qui devait être secret resterait plus caché, toutes les dispositions se feraient dans le bon ordre et sans qu’on osât prétexter des excuses.

LXXIII. Les Syracusains, après l’avoir entendu, n’hésitèrent point à changer tous ses avis en décrets. Ils l’élurent lui-même général, avec Héraclite, fils de Lysimaque, et Sicanus, fils d’Exécestas ; trois en tout. Ils envoyèrent des députations à Corinthe et à Lacédémone, pour en obtenir des secours, et pour engager en particulier les Lacédémoniens à pousser plus vigoureusement la guerre en leur faveur contre les Athéniens : ce serait mettre ceux-ci dans la nécessité de quitter la Sicile, ou d’y faire passer moins de renforts à leur armée.

LXXIV. Les Athéniens qui étaient à Catane passèrent aussitôt à Messine, dans l’idée que cette place allait se rendre ; mais les intrigues qu’ils y avaient pratiquées ne réussirent pas. Alcibiade ne pouvait manquer d’en avoir connaissance, et quand il fut rappelé du commandement, sachant bien qu’il partait pour l’exil, il avertit de ces menées les amis des Syracusains qui étaient à Messine. Ils commencèrent par tuer ceux qui étaient du complot, se mirent en état d’insurrection ; et comme toute la faction se trouvait en armes, elle força de décréter qu’on ne recevrait pas les Athéniens. Ceux-ci restèrent treize jours devant la place ; mais tourmentés de la mauvaise saison, manquant du nécessaire, et ne voyant rien réussir, ils retournèrent à Naxos, palissadèrent leur camp, et y prirent leurs quartiers d’hiver. Ils dépêchèrent à Athènes des trirèmes, pour demander que l’argent et la cavalerie leur fussent envoyés au printemps.

LXXV. Les Syracusains profitèrent aussi de l’hiver pour construire, en avant de la place, des murailles tournées du côté d’Épipole, et qui renfermaient Téménite dans leur enceinte :