Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/274

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XVII. Chalcidée et Alcibiade, ayant poursuivi Strombichide jusqu’à Samos, armèrent les équipages des vaisseaux du Péloponnèse et les laissèrent à Chio. Ils y substituèrent des matelots de cette île, équipèrent encore vingt autres bâtimens, et cinglèrent vers Milet pour y opérer une rébellion. Alcibiade était ami des principaux de cette république. Il voulait, avant l’arrivée des vaisseaux du Péloponnèse, les attirer au parti de Chio, au sien, à celui de Chalcidée ; il voulait remplir la promesse qu’il avait faite à Endius, quand cet éphore l’avait envoyé, de soulever un grand nombre de villes avec les seules forces de Chio et de Chalcidée, et de lui procurer l’honneur de ce succès. Ils firent secrètement la plus grande partie de leur traversée, prévinrent de peu de temps Strombichide et Thrasyclès qui revenait d’Athènes pour se mettre à leur poursuite avec douze vaisseaux, et firent soulever Milet. Les Athéniens arrivèrent aussitôt avec dix-neuf bâtimens ; mais on ne les reçut pas, et ils prirent terre à Ladé, île adjacente.

La révolte de Milet venait de se déclarer, quand le roi, par l’entremise de Tissapherne et de Chalcidée, conclut, pour la première fois, une alliance avec les Lacédémoniens dans les termes suivans :

XVIII. « Voici à quelles conditions les Lacédémoniens et leurs alliés ont conclu une alliance avec le roi et avec Tissapherne.

« Toutes les contrées et les villes qui sont en la puissance du roi ou qui ont appartenu à ses pères, resteront sous sa domination.

« Le roi, les Lacédémoniens et leurs alliés empêcheront en commun que les Athéniens ne reçoivent rien de ces villes d’où ils tirent des revenus, ou quelque autre chose que ce soit.

« Le roi, les Lacédémoniens et leurs alliés feront en commun la guerre aux Athéniens. Il ne sera permis au roi, ni aux Lacédémoniens, ni aux alliés de faire la paix avec les Athéniens, sans l’aveu des deux parties contractantes.

« Si quelques sujets du roi se révoltent contre lui, ils seront ennemis des Lacédémoniens et des alliés.

« Si quelques sujets des Lacédémoniens et de leurs alliés se soulèvent contre eux, ils seront ennemis du roi. »

XIX. Telle fut la teneur du traité. Aussitôt après, les habitans de Chio équipèrent dix autres bâtimens et firent voile pour Anæa, dans le dessein de s’informer de ce qui s’était passé à Milet, et de soulever en même temps les villes ; mais un message de Chalcidée leur porta l’ordre de revenir, parce qu’Amorgès allait arriver par terre avec une armée. Ils cinglèrent vers le temple de Jupiter, et reconnurent de là seize voiles qu’amenait Diomédon ; elles étaient parties après celles que commandait Thrasyclès. Dès qu'ils les aperçurent, ils prirent la fuite, un des vaisseaux vers Éphèse et les autres vers Téos. Les Athéniens en prirent quatre, mais ils étaient vides ; les hommes avaient eu le temps de se sauver à terre : le reste gagna Téos. Les Athéniens se rendirent à Samos. Les habitans de Chio mirent au large avec le reste de leur flotte ; leur infanterie les suivait. Ils firent soulever Lébédos et Ères. Tous revinrent ensuite, infanterie et vaisseaux.

XX. Cependant les vingt bâtimens du Péloponnèse, qui étaient au Pirée[1], ceux mêmes que les Athéniens avaient poursuivis et qu’ils tenaient en échec avec un nombre égal de voiles, firent une attaque soudaine, remportèrent la victoire, et prirent quatre vaisseaux. Ils se rendirent à Cenchrées, et se disposèrent à partir pour Chio et pour l’Ionie. Astyochus arriva de Lacédémone pour en prendre le commandement : celui de toute la flotte lui était confié. Les troupes de terre étant sorties de Téos, Tissapherne y vint lui-même, avec une armée, démolir ce qui pouvait rester des fortifications construites par les Athéniens, et s’en retourna. Bientôt après son départ, arriva Diomédon avec dix vaisseaux d’Athènes. Il traita avec les habitans, et obtint qu’ils voulussent bien aussi le recevoir. Il alla faire une attaque à Éres, ne put s’en rendre maîtres, et s’en retira.

XXI. Vers le même temps, la faction populaire de Samos, de concert avec des Athéniens qui étaient arrivés sur trois vaisseaux, se souleva contre les riches. Elle en fit mourir deux cents, et en condamna quatre cents à l’exil. Elle se distribua les maisons et les terres des proscrits, et reçut, par un décret d’Athènes, en qualité d’alliés fidèles, le droit de vivre à l’avenir sous ses propres lois. Elle prit en mains l’administra-

  1. Il s’agit ici encore du Pirée des Corinthiens.