Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/110

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jugez de sang-froid ceux des Mityléniens que Pachès vous a envoyés comme coupables, et laissez les autres dans leurs foyers. Voilà ce qui, pour l’avenir, est avantageux, et ce qui, dès ce moment, est terrible pour vos ennemis ; car se conduire avec sagesse, c’est prendre sur eux plus d’avantage que de joindre, en les attaquant, l’imprudence à la force des armes. »

XLIX. Ainsi parla Diodote. Il fut ouvert des avis absolument opposés ; les Athéniens se débattirent avec la même chaleur pour les opinions contraires, et les suffrages furent à peu près partagés ; cependant l’opinion de Diodote l’emporta. Aussitôt on se hâta d’expédier une seconde trirème ; on craignait qu’elle ne fût prévenue par l’autre et qu’elle ne trouvât toute la ville massacrée : la première avait à peu près l’avance d’un jour et d’une nuit. Les députés de Mitylène approvisionnèrent le vaisseau de farine et de vin, et promirent de bien récompenser l’équipage, s’il ne se laissait pas devancer. Les matelots firent une telle diligence, qu’ils mangeaient et manœuvraient en même temps, ne faisant que tremper leur farine dans du vin et de l’huile ; ils se partageaient, et pendant que les uns travaillaient, les autres prenaient du sommeil[1]. Le bonheur voulut qu’ils n’eussent aucun vent contraire. La première trirème, chargée d’une triste mission, ne hâtait pas sa course, et la seconde fit tant de diligence, qu’elle ne fut prévenue que du temps qu’il fallut à Pachès pour lire le décret ; on allait obéir, la seconde trirème arrive et empêche l’exécution. Ce ne fut qu’à cet espace d’un moment, que tint le sort de Mitylène.

L. Les autres Mityléniens, que Pachès avait envoyés comme les principaux auteurs du mouvement, furent mis à mort suivant l’avis de Cléon ; ils étaient un peu plus de mille. On abattit les murailles de Mitylène, on saisit les vaisseaux, et dans la suite, au lieu d’imposer un tribut aux habitans de Lesbos, on divisa leurs terres en trois mille lots ; celles de Méthymne furent exceptées. Trois cents de ces lots furent réservés et consacrés aux dieux ; les autres furent partagés au sort entre des citoyens d’Athènes, qu’on envoya en prendre possession. Les Lesbiens les prirent à ferme et les cultivèrent, en payant chaque année deux mines[2] par lot. Les Athéniens prirent aussi dans le continent les villes que les Mityléniens y possédaient, et les soumirent à leur domination. Tels furent les événemens de Lesbos.

LI. Le même été[3], après la réduction de cette île, les Athéniens, sous le commandement de Nicias, fils de Nicératus, attaquèrent Minoa, ville adjacente à Mégare. Les Mégariens y avaient construit une tour et en avaient fait une place de défense. Le dessein de Nicias était d’y établir, pour les Athéniens, un fort qui serait moins éloigné que Boudore et Salamine ; d’empêcher les Péloponnésiens de s’en faire un point secret de départ, pour courir la mer, et expédier, comme ils l’avaient déjà fait, des trirèmes et des bâtimens remplis de pirates ; enfin, de couper tous les moyens de faire des importations à Mégare. D’abord il battit, du côté de la mer, avec des machines, et emporta deux tours avancées du port de Nisée, rendit libre le passage entre l’île et ce port, et fortifia la partie du continent par où l’on pouvait porter du secours à cette île, au moyen d’un pont jeté sur des marais ; car l’île est très voisine de la terre ferme. Tout cela fut l’ouvrage de peu de jours. Ensuite il fortifia l’île, y laissa garnison et s’en retourna avec son armée.

LII. Vers la même époque de cet été, les Platéens réduits à la disette, et ne pouvant plus soutenir le siège, se rendirent de la manière suivante. Les Péloponnésiens livrèrent un assaut que les assiégés ne furent pas en état de repousser. Le général lacédémonien reconnut leur faiblesse ; mais il ne voulait pas entrer dans la place de vive force. C’est que ses instructions portaient que, si l’on venait un jour à traiter avec les Athéniens, à condition de rendre de part et d’autre les villes qu’on aurait prises, il fallait que Platée pût ne pas entrer dans ces restitutions, comme s’étant donnée de sa propre

  1. Ce que Thucydide observe ici comme une chose extraordinaire de son temps, se pratique dans tous les cas sur nos moindres vaisseaux. Le temps du travail et celui du repos sont partagés entre l’équipage. Pendant qu’une moitié manœuvre et fait ce qu’on appelle le quart, l’autre se repose.
  2. Cent quatre-vingts livres, à quatre-vingt-dix livres la mine.
  3. Cinquième année de la Guerre du Péloponnèse, deuxième année de la vingt-huitième olympiade, quatre cent vingt-sept ans avant l’ère vulgaire.