Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/119

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Péloponnèse, partis de Cyllène où ils étaient restés depuis l’expédition d’Ionie, arrivèrent au nombre de cinquante-trois. Ils étaient commandés, comme auparavant, par Alcidas, qui avait avec lui Brasidas, à titre de conseil. Ils relâchèrent au port de Sybota, qui est situé sur le continent, et, au lever de l’aurore, ils firent route vers Corcyre.

LXXVII. Les Corcyréens, effrayés à la fois de leur situation intérieure et de l’arrivée de cette flotte, appareillèrent tumultuairement soixante navires ; ils les faisaient partir contre l’ennemi à mesure qu’ils étaient prêts. C’était contre l’avis des Athéniens, qui leur conseillatent de les laisser sortir eux-mêmes les premiers, et de venir ensuite les soutenir à la fois avec toutes leurs forces. Comme les vaisseaux de Corcyre se présentaient séparément au combat, il y en eut deux qui, dès le commencement de l’action, passèrent du côté de l’ennemi. Sur les autres, les gens de guerre qui les montaient se battaient entre eux, et l’on ne savait nulle part ce qu’on faisait. Les Péloponnésiens, s’apercevant de ce tumulte, se contentèrent d’opposer une vingtaine de vaisseaux à ceux de Corcyre, et avec le reste de leur flotte, ils se présentèrent contre les douze vaisseaux d’Athènes, dont étaient la Salaminienne et le Paralus.

LXXVIII. Les Corcyréens, faisant mal leurs attaques et avec trop peu de bâtimens à la fois, eurent, de leur côté, beaucoup à souffrir. Pour les Athéniens, comme ils craignaient d’être accablés par le nombre et de se voir enveloppés, ils ne chargèrent point en masse et ne donnèrent pas sur le centre des vaisseaux qui étaient rangés contre eux en ordre de bataille ; mais ils attaquèrent en file, et submergèrent un bâtiment. S’étant ensuite formés en cercle, ils voguèrent autour des ennemis, et essayèrent de les mettre en désordre. Cette manœuvre fut aperçue de ceux qui avaient en tête les vaisseaux de Corcyre ; et craignant qu’il n’arrivât la même chose qu’à Naupacte, ils vinrent au secours des leurs. La flotte alors réunie vogua tout entière sur les Athéniens. Ceux-ci cédèrent faiblement et ramèrent à la poupe. Ils employaient cette manœuvre pour laisser les Corcyréens commencer la retraite, tandis qu’eux mêmes, reculant avec beaucoup de lenteur, soutenaient les efforts des ennemis. Ainsi se passa ce combat naval, qui finit au coucher du soleil.

LXXIX. Les Corcyréens craignaient que les ennemis ne profilassent de leur victoire pour venir attaquer la ville, ou qu’ils n’enlevassent de l’île les citoyens qu’on y avait déposés, ou qu’enfin ils n’essayassent de susciter quelque autre nouveauté. Ils ramenèrent au temple de Junon les gens de l’île et se tinrent sur leurs gardes. Mais les ennemis, malgré l’avantage qu’ils avaient remporté, n’eurent pas l’audace d’attaquer la ville ; ils gagnèrent, avec treize vaisseaux de Corcyre qu’ils avaient enlevés, le continent d’où ils étaient partis. Le lendemain, ils n’osèrent pas davantage se porter à Corcyre, quoiqu’on y fût dans le trouble et dans la terreur, et que Brasidas engageât, dit-on, Alcidas à tenter celle entreprise : mais il n’avait pas le même crédit que ce général. Ils firent une descente au promontoire de Leucimne et ravagèrent la campagne.

LXXX. Cependant le peuple de Corcyre, craignant l’arrivée de la flotte, traita avec les supplians et les autres du même parti, pour parvenir à sauver la ville. On en détermina même quelques-uns à monter sur les vaisseaux ; car, malgré la triste situation où l’on se trouvait, on en équipa trente, s’attendant toujours à voir arriver les ennemis. Mais les Péloponnésiens, après avoir infesté les champs jusqu’à midi, se retirèrent. C’est que des feux les avaient avertis pendant la nuit du départ de soixante vaisseaux athéniens sortis de Leucade[1] pour venir les attaquer. En effet, quand on avait appris à Athènes que Corcyre était en état de sédition, et que les vaisseaux d’Alcidas devaient s’y rendre, on avait fait partir cette flotte sous le commandement d’Eurymédon, fils de Théoclès.

LXXXI. Les Péloponnésiens se hâtêrent de retourner chez eux pendant la nuit, en suivant la côte. Ils transportèrent leurs vaisseaux par dessus l’isthme de Leucade, dans la crainte d’être aperçus s’ils en faisaient le tour, et ter-

  1. A la manière dont s’exprime Thucydide, on pourrait croire que les anciens, par les différentes combinaisons des feux qui leur servaient de signaux, avaient l’art d’exprimer l’espèce de danger dont on était menacé et de faire connaître le nombre des ennemis. Alors ces feux auraient été des sortes de télégraphes.