Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/133

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revenus de l’Attique, que les Spartiates allèrent eux-mêmes, avec leurs plus proches voisins, attaquer Pylos. Le reste des Lacédémoniens[1] ne se mit pas sitôt en marche, parce qu’il ne faisait que d’arriver d’une autre expédition. Ils firent publier dans le Péloponnèse qu’on eût à porter le plus prompt secours à Pylos, et ils mandèrent la flotte de soixante voiles qui était à Corcyre. Elle fut transportée par-dessus l’isthme de Leucade, et gagna sa destination sans être aperçue de la flotte athénienne qui était à Zacynthe. Déjà était arrivée l’armée de terre. Démosthène, pendant que les Lacédémoniens étaient encore en mer, eut le temps de faire partir deux vaisseaux pour mander Eurymédon et la flotte de Zacynthe, leur apprenant que la place était en danger. Sur cet avis, la flotte fit une grande diligence. Les Lacédémoniens se préparaient à faire leurs attaques du côté de la terre et de la mer, et comptaient emporter aisément une place bâtie à la hâte, et qui n’avait que peu de défenseurs. Comme ils s’attendaient à voir arriver au secours la flotte athénienne, ils projetèrent, s’ils ne se rendaient pas auparavant maîtres de la forteresse, de boucher l’entrée du port, pour empêcher les Athéniens d’y aborder ; car l’île de Sphactérie qui s’étend en face de ce port, et qui en est très voisine, le met à l’abri des vents et en rend les passages étroits. Du côté des ouvrages construits par les Athéniens et de Pylos, il n’y peut entrer que deux vaisseaux ; et de celui qui regarde l’autre partie du continent, que huit ou neuf. Cette île, étant abandonnée, se trouvait tout entière couverte de bois, et n’offrait aucun sentier. Sa grandeur est environ de quinze stades au plus[2]. Les Lacédémoniens devaient obstruer les passages, en y plaçant des vaisseaux dont les proues seraient tournées du côté de l’entrée. ; Dans la crainte d’être attaqués par l’île, ils y firent passer des hoplites et disposèrent le reste de leurs troupes sur le continent. Ainsi l’île devenait pour les Athéniens un lieu ennemi, et le continent était inabordable ; car la côte de Pylos, si l’on en excepte le port, n’offre aucune rade, et les Athéniens n’avaient aucun endroit d’où il leur fût possible de partir pour donner aux leurs du secours. Quant aux Lacédémoniens, ils comptaient emporter la place, sans avoir à combattre sur mer et sans courir de danger. Leur présomption semblait bien fondée, puisqu’on y manquait de vivres, et qu’en l’occupant, on n’avait eu que de faibles ressources. D’après ces idées, ils firent passer dans l’île des hoplites pris au sort dans toutes les cohortes. D’abord ils se relevaient successivement. Les derniers qu’on fut obligé d’y abandonner, étaient au nombre de quatre cent vingt, sans compter les Hilotes qui servaient avec eux. Épitadas, fils de Molobrus, les commandait.

IX. Démosthène, qui voyait les Lacédémoniens prêts à l’attaquer à la fois par terre et par mer, prit de son côté des mesures. Il ordonna de tirer à terre les cinq vaisseaux qu’on lui avait laissés, et les fit servir de palissades au-dessous des fortifications : il en arma les équipages de mauvais boucliers, dont la plupart n’étaient que d’osier ; car, dans un lieu désert, il ne pouvait se procurer des armes. On avait eu celles-là d’un bâtiment de pirates à trente rames et d’un vaisseau léger, tous deux de Messine, qui, par hasard, avaient abordé sur cette côte. Il s’était trouvé parmi ces Messéniens une quarantaine d’hoplites qu’il fit servir avec les autres. Il rangea du côté du continent, surtout aux endroits qui étaient fortifiés et sûrs, le gros de ses gens, armés ou non, leur ordonnant de se défendre contre l’infanterie, si elle hasardait une attaque. Lui-même choisit, sur tout son monde, soixante hoplites et quelques archers, sortit du fort, et se rendit sur le bord de la mer, du côté où il pensait que les Lacédémoniens tenteraient plutôt une descente. Il avait dans l’idée qu’ils y seraient attirés par la faiblesse des murailles, quoique ce fût une plage d’un accès difficile et toute hérissée de rochers. Les Athéniens avaient négligé de la mieux fortifier, dans l’espérance de rester toujours maîtres de la mer ; mais si l’ennemi parvenait à forcer la descente, la place pouvait être enlevée. Ce fut pour l’empêcher, s’il était possible, d’aborder, que Démosthène rangea ses troupes sur le rivage, et il anima leur valeur par ce discours :

X. « Guerriers qui allez partager un même

  1. Ce passage offre une distinction remarquable entre les Spartiates et les Lacédémoniens. Les Spartiates étaient les citoyens de Sparte, et il s’en fallait beaucoup que tous les habitans de Sparte fussent Spartiates. Leur nombre ne fut jamais très considérable, et comme on n’accordait à personne le droit de cité, il diminua toujours.
  2. Un peu plus d’une demi-lieue.