Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/148

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retira sur les hauteurs, et ne se croyant pas en état de combattre, elle resta dans l’inaction. Cependant les Athéniens abordent, s’avancent aussitôt avec toutes leurs forces, et emportent Thyrée. Ils mettent le feu à la ville, et détruisent tout ce qui s’y trouve. Ils retournèrent à Athènes, emmenant les Éginètes qui n’avaient pas été tués dans l’action, et Tantale, fils de Patrocle, qui les commandait pour les Lacédémoniens ; il avait été pris couvert de blessures : ils emmenèrent aussi un petit nombre d’habitans de Cythère, que, pour mesure de sûreté, ils crurent devoir transporter ailleurs. On décida qu’ils seraient déposés dans les îles, que les autres Cythéréens qui resteraient dans leur pays paieraient un tribut de quatre talens[1], et que tous les Éginètes qui avaient été pris seraient mis à mort ; c’était l’effet de l’ancienne haine que les Athéniens avaient toujours eue pour ce peuple. Tantale fut renfermé dans la même prison que les autres Lacédémoniens pris à Sphactérie.

LVIII. Le même été[2], dans la Sicile, il se conclut d’abord une suspension d’armes entre les citoyens de Camarina et ceux de Géla. Les autres Siciliens formèrent ensuite A Géla un congrès, où les députés de toutes les villes se concertèrent pour parvenir à des moyens de conciliation. Un grand nombre d’opinions diverses furent mises en avant de part et d’autre : les députés ne s’accordaient point entre eux ; chacun demandait pour sa ville des redressemens proportionnés aux torts qu’elle croyait avoir supportés. Hermocrate, fils d’Hermon, de Syracuse, celui qui contribua le plus à les ramener tous à l’intérêt général, parla en ces termes :

LIX. « Ce n’est point, ô Syracusains, un citoyen de l’une des plus faibles républiques de cette ile, ni de celles qui se sont le plus ressenties des maux de la guerre, qui va prendre la parole ; mais un homme qui veut manifester à la Sicile entière, l’opinion qu’il croit s’accorder le mieux avec l’intérêt commun. A quoi bon entrer dans de longs détails sur les maux de la guerre, pour prouver à des gens qui le savent combien elle est désastreuse ? Ce n’est pas l’ignorance qui force personne à l’entreprendre ; et personne non plus n’en est détourné par la crainte, s’il croit y trouver son profit ; mais les uns placent les avantages qu’ils attendent au-dessus des dangers, et les autres aiment mieux s’exposer aux dangers que de souffrir, pour le moment, aucun dommage. Cependant, si les uns et les autres, dans cette conduite, n’ont pas les circonstances en leur faveur, c’est les bien servir que de les engager à la réconciliation ; et ce serait un grand bonheur pour vous, si, dans les conjonctures présentes, vous vous rendiez à de semblables conseils. Nous avons pris les armes parce que chacun de nous voulait pourvoir à ses intérêts privés ; tâchons maintenant, en les discutant entre nous, d’en venir à un accommodement, au hasard de recommencer la guerre, si chacun ne se trouve pas satisfait sur les droits qu’il réclame.

LX. « Ce ne sera pas seulement sur nos affaires particulières, si nous sommes sages, que rouleront les conférences ; mais nous examinerons s’il est encore possible de sauver la Sicile, que je regarde comme menacée par les desseins perfides des Athéniens. Ce sont eux, bien plus que mes discours, qui doivent vous forcer à une réconciliation ; eux revêtus de la plus grande puissance de la Grèce ; eux qui épient nos fautes, et qui sont chez nous, à titre d’alliés légitimes, avec un petit nombre de vaisseaux ; moyen spécieux d’exercer utilement contre nous leur haine naturelle. Continuons la guerre ; appelons dans nos foyers des hommes qui vont bien d’eux-mêmes attaquer les autres sans être invités ; consommons notre ruine par nos dépenses particulières ; préparons-leur la voie à la domination ; et bientôt, n’en doutez pas, nous voyant épuisés, ils arriveront avec des flottes plus formidables, et mettront sous leur joug la Sicile entière.

LXI. « Cependant, si nous avons quelque prudence, c’est pour ajouter à notre fortune ce que nous ne possédons pas, et non pour endommager ce que nous possédons, que chacun de nous doit se faire des alliances et se livrer aux dangers. Croyez que rien n’est plus destructeur pour les états que la dissension, et surtout pour la Sicile, dont tous les peuples sont l’objet des embûches d’Athènes, et qui se trouve partagée en autant de républiques que de villes. D’après cette vérité, que les citoyens se réconcilient avec les citoyens, les villes avec les villes, et travaillent d’un commun effort à sauver la Sicile entière. Gardez-vous de penser qu’Athènes ne

  1. 21.000 livres.
  2. 16 juillet.