Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LXXXIX. Dès le commencement de l’hiver suivant[1], la Bœotie devait être livrée aux généraux athéniens, Hippocrate et Démosthène : l’un avec la flotte devait se rendre à Siphès, l’autre à Délium ; mais on se trompa sur les jours où l’on était convenu que tous deux feraient leurs attaques. Ce fut Démosthène qui aborda le premier à Siphès ; il avait sur sa flotte les Acarnanes et un grand nombre d’alliés du voisinage ; il ne réussit point : le projet avait été découvert par un Phocéen de Phanotée, nommé Nicomaque, qui en avait fait part aux Lacédémoniens, et ceux-ci aux Bœotiens. Il vint des secours de toute la Bœotie ; Hippocrate n’y était point encore pour y donner de l’inquiétude, et ce furent les Bœotiens qui prévinrent leurs ennemis en occupant Siphès et Chéronée. Les confidens de ce complot le voyant manqué, n’excitèrent aucun mouvement dans les villes.

LXXXX. Hippocrate avait fait prendre les armes aux Athéniens sans exception, même aux simples habitans et à tous les étrangers qui se trouvaient dans la ville ; il arriva le dernier à Délium, lorsque les Bœotiens étaient déjà retirés de Siphès. Il fit camper ses troupes à Délium, et se mit à fortifier, de la manière suivante, ce lieu consacré à Apollon. On entoura d’un fossé l’enceinte et le temple. Les terres qu’on en retira furent employées à construire une terrasse qui tint lieu de muraille. On l’étaya de pieux que fournit le sarment des vignes arrachées dans les environs du lieu sacré. Les pierres et les briques des bâtimens voisins tombés en ruines furent ramassées pour donner le plus d’élévation qu’il serait possible au rempart ; on éleva des tours de bois aux endroits où il était nécessaire. Il ne restait rien du temple ; la colonnade en avait croulé. Ce fut le surlendemain du départ que commença ce travail ; on s’en occupa sans relâche le quatrième jour et le cinquième jusqu’à l’heure du dîner. La plus grande partie de l’ouvrage étant finie, le corps de l’armée s’éloigna de dix stades, dans l’intention de faire sa retraite. La plupart même des troupes légères partirent aussitôt, mais les hoplites s’arrêtèrent, et prirent un campement. Hippocrate resta encore à Délium pour y établir la garde et terminer ce qui manquait aux fortifications.

XCI. Cependant les Bœotiens se rassemblaient à Tanagra. Déjà ils s’y étaient rendus de toutes les villes, quand ils apprirent que les Athéniens retournaient chez eux. Les bœotarques sont au nombre de onze. Il y en eut dix qui furent d’avis de ne pas les combattre, puisqu’ils n’étaient plus dans la Bœotie : en effet, l’endroit où les Athéniens avaient établi leur camp faisait partie des confins de l’Oropie. Mais Pagondas, fils d’Æoladas, était bœotarque de Thèbes avec Ariantidas, fils de Lysimachidas, et c’était lui qui avait alors le commandement : il se déclara pour la bataille, croyant que le meilleur parti était d’en courir le danger. Il convoqua les troupes par cohortes, pour ne pas dégarnir le camp tout à la fois, et leur persuada de marcher contre les Athéniens et de les combattre. Voici comment il s’exprima :

XCII. « Il n’aurait dû venir à l’esprit d’aucun des chefs, ô Bœotiens, que si l’endroit où nous rencontrerions les Athéniens ne faisait plus partie de la Bœotie, il ne fallût pas les attaquer ; car c’est dans la Bœotie qu’ils viennent de se construire un fort, et c’est d’un pays limitrophe qu’ils vont partir pour infester le nôtre. Ils sont toujours nos ennemis, de quelque endroit qu’ils sortent pour exercer des hostilités. Regarder comme plus sûr de ne pas combattre, c’est une erreur. Les règles de la prudence ne sont pas les mêmes pour celui qu’on attaque et qui défend son pays, et pour celui qui, jouissant de sa fortune, marche de plein gré contre les autres par la cupidité de s’enrichir encore davantage. Nous avons appris de nos ancêtres, quand des armées étrangères portent contre nous les armes, à nous défendre également sur notre territoire et sur celui de nos voisins ; et c’est une conduite que nous devons tenir encore plus avec les Athéniens, qui sont pour nous une puissance frontière. Se montrer en état de résister à tous ses voisins, est le seul moyen de rester libres. Et comment ne faudrait-il pas surtout combattre jusqu’à la dernière extrémité, des hommes qui veulent asservir non-seulement les nations voisines, mais les états même éloignés ? Nous avons pour exemple de ce que nous devons attendre, et les habitans de l’Eubée, qui ne sont séparés de nous que par un trajet de mer, et la plus grande partie de la Grèce. La guerre entre voisins n’a d’ordinaire pour objet que les limi-

  1. Après le 13 octobre.