Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/173

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III. Les Athéniens avaient commencé leurs attaques, quand le Lacédémonien Pasitélidas, commandant de la place, en sortit avec la garnison pour protéger ces travaux ; mais comme les Athéniens étaient près de le forcer, et que le port se trouvait investi par les navires qu’avait envoyés Cléon, il craignit que la ville, qui était abandonnée, ne fût prise par mer, et qu’on n’enlevât les nouvelles murailles dans lesquelles il serait pris lui-même. Il les abandonna donc, et gagna la ville à la course ; mais les Athéniens de la flotte le prévinrent et se rendirent maîtres de Toroné. L’infanterie les suivit à l’instant même, et s’y précipita par la partie de l’ancien mur qui était détruite : ils tuèrent à l'instant ceux des Péloponnésiens et des gens de Toroné qui se défendaient, et firent les autres prisonniers ; de ce nombre était Pasitélidas. Brasidas venait au secours de la place, mais il sut en chemin qu’elle était prise, et il se retira. Il ne s’en fallait que d’une distance de quarante stades au plus[1] qu’il ne fût arrivé à temps pour la sauver. Cléon et les Athéniens élevèrent deux trophées, l’un près du port, l’autre près des murailles. Les femmes et les enfans des habitans de Toroné furent réduits en esclavage. Eux-mêmes, les Péloponnésiens et ce qu’il y avait de Chalcidiens au nombre en tout de sept cents, furent envoyés à Athènes. Les Péloponnésiens recouvrèrent la liberté quand, dans la suite, il se fit un accord entre les deux nations. Le reste fut échangé homme pour homme par les Olynthiens.

Vers cette époque, les Bœotiens prirent, sur les frontières de l’Attique, Panactum, qui leur fut livré par trahison. Cléon laissa une garnison à Toroné, mit en mer, et tourna le mont Athos pour gagner Amphipolis.

IV. Phaeax, fils d’Érasistrate, fut envoyé, lui troisième, par les Athéniens en députation dans l'Italie et dans la Sicile, et partit vers le temps dont nous parlons. Depuis que les Athéniens avaient quitté la Sicile à la suite de la paix, les Léontins avaient inscrit un grand nombre de personnes entre leurs citoyens, et le peuple était dans l’intention de faire un partage des terres. Les riches, instruits de ce projet, appelèrent les Syracusains, et chassèrent la faction du peuple. Ces bannis errèrent de côté et d’autre. Les riches traitèrent avec les Syracusains, abandonnèrent leur ville, la laissèrent déserte, et se retirèrent à Syracuse, où ils obtinrent le droit de cité. Mais dans la suite, quelques-uns d’eux, par mécontentement, quittèrent Syracuse, et s’emparèrent d’un endroit appelé Phocées, qui dépendait de leur ancienne ville : ils occupèrent aussi Bricinnies, forteresse située dans la campagne de cette république. La plupart des bannis de la faction populaire vinrent se joindre à eux. Ils s’établirent dans la citadelle, et c’était de là qu’ils se défendaient. Les Athéniens, à cette nouvelle, firent partir Phæax : ils le chargèrent d’engager les alliés qu’ils avaient dans cette île, et d’autres, s’il était possible, à faire en commun la guerre aux Syracusains, et à sauver les Léontins. Phæax, à son arrivée, gagna ceux de Camarina et d’Agrigente ; mais comme il ne trouva que de l’opposition à Géla, il vit que ses démarches seraient vaines, et ne crut pas devoir aller plus loin. Il revint à Catane, à travers le pays des Sicules, entra, en passant, à Bricinnies, y inspira du courage, et partit.

V. Dans sa traversée pour aller en Sicile, et à son retour, il ne négligea pas de négocier en Italie, essayant d’engager quelques villes dans l’alliance d’Athènes. Il rencontra des Locriens qui avaient habité Messine et qui venaient d’en être chassés. Il était survenu de la dissension dans cette ville après la paix de Sicile, et l’un des partis avait appelé les Locriens, qui vinrent s’y établir et furent renvoyés. Messine avait même été quelque temps sous la domination des Locriens. Ce fut lorsque ceux-ci revenaient dans leur patrie, que Phaeax les rencontra ; il ne leur fit aucune insulte, car il venait d’obtenir des Locriens un accord avec Athènes. Seuls des alliés, quand les Siciliens avaient fait la paix, ils n’avaient pas traité avec les Athéniens ; et même actuellement ils ne l’eussent pas fait encore, s’ils n’avaient été dans les embarras d’une guerre avec ceux d’Itone et de Mêlée, peuples limitrophes, et qui étaient même des colonies sorties de leur sein. Phaeax revint ensuite à Athènes.

VI. Cléon, parti de Toroné, s’était approché d’Amphipolis : il alla d’Éion attaquer Stagyre, colonie d’Andros[2], et ne put s’en rendre maître ; mais il prit Galepsus, colonie de Thasos. Il en-

  1. Moins d’une lieue et demie.
  2. Dixième année de la guerre du Péloponnèse, troisième année de la quatre-vingt-neuvième olympiade, quatre cent vingt-deux ans avant l’ère vulgaire.