Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/181

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que j’ai compté, et quelques jours de plus, en supputant suivant l’ordre des temps. C’est le seul événement qui se soit accordé avec les prédictions, et qui favorise ceux qui veulent y croire ; car je me rappelle que, depuis l’origine jusqu’à la fin de la guerre, bien des gens avançaient qu’elle devait durer trois fois neuf années. J’ai vécu en âge de raison pendant tout le temps de cette guerre ; et j’ai donné toute mon attention à en connaître exactement les circonstances. J’ai passé vingt ans exilé de ma patrie, après mon généralat d’Amphipolis ; j’ai eu part aux affaires dans l’un et dans l’autre parti, et je me suis d’autant mieux instruit de celles des Péloponnésiens, que mon exil me laissait plus de tranquillité. Je rapporterai donc les différends qui s’élevèrent au bout de dix ans, la rupture de la trêve, et les hostilités qui la suivirent.

XXVII. Quand la trêve de cinquante ans, et l’alliance qui en fut la suite, eurent été conclues, les députés du Péloponnèse, qui avaient été convoqués pour cet objet, se retirèrent de Lacédémone. Ils retournèrent chez eux, excepté les Corinthiens qui passèrent d’abord à Argos, et y eurent des conférences avec quelques magistrats. Ils leur firent entendre que, puisque ce n’était pas pour l’avantage, mais pour l’asservissement du Péloponnèse, que les Lacédémoniens avaient fait la paix avec les Athéniens, auparavant leurs plus grands ennemis, et s’étaient unis avec eux par une alliance, il était du devoir des Argiens de considérer comment on pourrait sauver le Péloponnèse ; qu’ils devaient décréter que toutes les villes de la Grèce qui le voudraient, pourvu qu’elles fussent libres et dans la jouissance de leurs droits, pouvaient contracter avec eux une alliance mutuelle et défensive ; qu’on élirait un petit nombre de citoyens revêtus de pleins pouvoirs, pour n’être pas obligé de conférer devant le peuple, et pour que ceux qui ne pourraient faire entrer la multitude dans leurs sentimens, ne fussent pas connus. Ils assuraient que, par haine contre Lacédémone, bien des villes ne manqueraient pas d’entrer dans cette ligue. Après avoir ouvert cet avis, ils retournèrent chez eux.

XXVIII. Les Argiens qui avaient écouté ces propositions, les portèrent aux magistrats et au peuple : elles furent décrétées ; et il se fit une élection de douze citoyens avec qui pourraient contracter alliance tous ceux des Grecs qui le jugeraient à propos. On excepta les Athéniens et les Lacédémoniens, avec qui personne n’eut la permission de traiter sans la participation du peuple d’Argos. Les Argiens consentirent d’autant plus volontiers à cette résolution, qu’ils se voyaient près d’entrer en guerre avec Lacédémone ; car le traité qu’ils avaient avec cette puissance touchait à sa fin, et ils espéraient commander les forces du Péloponnèse. On avait, à cette époque, une fort mauvaise opinion de Lacédémone, et ses revers l’avaient rendue méprisable : au lieu qu’Argos, qui n’avait pris aucune part à la guerre de l’Attique, et qui, en paix avec les deux puissances, en avait recueilli les fruits, se trouvait dans la situation la plus florissante. Ce fut ainsi que les Argiens reçurent dans leur alliance ceux des Grecs qui voulurent y être compris.

XXIX. Les Mantinéens et leurs alliés, par la crainte que leur inspirait Lacédémone, entrèrent les premiers dans cette confédération ; car une portion de l’Arcadie, pendant que la guerre contre les Athéniens durait encore, s’était rangée sous l’obéissance de Mantinée, et ils pensaient que Lacédémone, rendue au repos, ne les verrait pas d’un œil tranquille exercer cet empire. Ce fut donc avec joie qu’ils se tournèrent du côté des Argiens. Ils les regardaient comme une puissance respectable, toujours ennemie de Lacédémone, et chez qui se trouvait en vigueur, comme chez eux, le gouvernement populaire. Quand la défection des Mantinéens fut déclarée, le reste du Péloponnèse murmura qu’il fallait suivre leur exemple ; on imaginait qu’ils avaient vu plus clair que les autres ; on était d’ailleurs irrité contre Lacédémone par plusieurs raisons ; entre autres, parce que le traité portait que, sans enfreindre leurs sermens, les deux villes de Lacédémone et d’Athènes pourraient y faire les additions et les retranchemens qu’il leur plairait. C’était surtout cette clause qui troublait le Péloponnèse ; elle faisait soupçonner que les Lacédémoniens, d’intelligence avec les Athéniens, avaient dessein de l’assujettir : sans cela, il aurait été juste qu’elle fût commune à tous les alliés. Ainsi, la plupart effrayés, s’empressèrent chacun séparément, d’entrer dans l’alliance d’Argos.

XXX. Les Lacédémoniens eurent connais-