Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/185

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avec plaisir cette proposition ; car le hasard voulait qu’on leur demandât précisément ce qui leur avait été recommandé par leurs amis de Lacédémone. Les deux hommes d’Argos, voyant que cette ouverture était bien reçue, dirent en se retirant qu’ils enverraient des députés en Bœotie. Les Bœotiens, à leur arrivée, firent part aux bœotarques de ce qu’ils avaient fait à Lacédémone, et de ce que leur avaient proposé les Argiens qu’ils avaient rencontrés. Les bœotarques, flattés de ces nouvelles, redoublèrent d’ardeur, en voyant que leurs amis de Lacédémone demandaient précisément les mêmes choses pour lesquelles dans Argos on marquait tant d’empressement. Peu de temps après, vinrent les députés de cette république les inviter à suivre le plan qui leur avait été proposé. Les bœotarques leur témoignèrent, en les congédiant, la satisfaction qu’ils recevaient de leurs discours, et promirent de leur faire passer une députation pour entrer dans l’alliance de leur république.

XXXVIII. Cependant les bœotarques, les Corinthiens, les Mégariens et les députés de Thrace jugèrent d’abord à propos de s’engager, par un serment réciproque, à donner, au besoin, des secours à ceux d’entre eux qui en réclameraient, et à ne faire ni guerre ni paix que d’un commun accord. C’était à ces conditions que les Bœotiens et les Mégariens (car ils faisaient cause commune) étaient prêts à traiter avec les Argiens. Mais avant de faire le serment, les bœotarques communiquèrent cette résolution aux quatre conseils chargés de toute l’administration de la Bœotie, et les exhortèrent à s’engager par le même serment envers toutes les villes que leur intérêt ferait entrer dans la fédération. Les conseils ne furent pas de cet avis ; ils craignaient de déplaire à Lacédémone en se liant par serment aux Corinthiens qui s’étaient détachés de son alliance. C’est que les bœotarques ne leur avaient pas communiqué qu’à Lacédémone, les éphores Cléobule et Xénarès, et leurs amis, leur avaient insinué d’entrer d’abord dans l’alliance d’Argos et de Corinthe, pour parvenir ensuite à celle de leur république. Ils avaient cru que le magistrat, sans qu’on lui fît cette confidence, ne décréterait que ce qu’eux-mêmes, d’après la résolution qu’ils auraient prise, lui conseilleraient d’adopter. Comme l’affaire prit un tour différent, les Corinthiens et les députés de Thrace se retirèrent sans avoir rien fait. Les bœotarques, qui, s’ils avaient réussi auprès des conseils, auraient essayé d’abord de faire conclure une alliance avec Argos, ne firent à ces conseils aucun rapport sur les Argiens, et ne tinrent pas la promesse qu’ils avaient faite d’envoyer des députés à Argos. Ainsi tout fut ou négligé ou différé.

XXXIX. Le même hiver, les Olynthiens prirent en courant Mécyberne, place gardée par les Athéniens. Il y avait toujours des négociations entre les Athéniens et les Lacédémoniens au sujet des villes qu’ils se retenaient réciproquement. Les Lacédémoniens espérant que si les Athéniens retiraient Panactum des mains des Bœotiens, eux-mêmes recevraient Pylos, allèrent en députation en Bœotie, et demandèrent, pour parvenir à cet échange, qu’on leur remît Panactum et les prisonniers d’Athènes. Mais les Bœotiens répondirent qu’ils ne les rendraient pas, que Lacédémone ne fît avec eux une alliance particulière, comme elle en avait fait une avec Athènes. Les Lacédémoniens n’ignoraient pas que ce serait offenser cette république, puisqu’il avait été convenu de part et d’autre de ne faire avec personne, que d’un commun accord, la guerre ou la paix ; mais, comme ils voulaient retirer Panactum pour l’échanger contre Pylos, et que d’ailleurs ceux qui s’appliquaient à troubler la trêve avaient à cœur de traiter avec les Bœotiens, ils conclurent l’alliance sur la fin de cet hiver, à l’approche du printemps. Aussitôt Panactum fut détruit, et alors se termina la onzième année de la guerre.

XL. Dès le printemps, tout au commencement de l’été suivant[1], les Argiens ne voyant pas arriver les députés de Bœotie, qu’on avait promis de leur envoyer, et sachant que Panactum était rasé, et que les Bœotiens avaient fait une alliance particulière avec Lacédémone, craignirent de se trouver isolés, et que tous les alliés ne se tournassent vers cette république. Ils croyaient que c’était à la sollicitation de Lacédémone que les Bœotiens avaient démantelé Panactum et fait alliance avec Athènes, et que les Athéniens étaient instruits de ces mesures. Ils pensaient ne pouvoir plus eux-mêmes s’allier avec eux, tandis qu’ils avaient d’abord espéré

  1. Douzième année de la guerre du Péloponnèse, quatrième année de la quatre-vingt-neuvième olympiade, quatre cent vingt-un ans avant l’ère vulgaire. Depuis le 5 avril.