Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/193

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Lacédémoniens et les alliés le suivirent aveuglément, par obéissance à la loi ; mais ils se plaignaient amèrement entre eux de sa conduite ; ils étaient persuadés qu’ils venaient d’avoir une belle occasion de combattre, et qu’ils se retiraient sans rien faire qui répondît à ce que leurs forces avaient d’imposant, au moment où, de toutes parts, l’ennemi se trouvait renfermé par leur cavalerie et leur infanterie. Il est certain que c’était la plus belle armée qu’avait eue la Grèce jusqu’à cette époque. C’est ce qu’on put reconnaître surtout quand elle était encore rassemblée tout entière à Némée : on y voyait les Lacédémoniens dans toute leur puissance, et des Arcades, des Bœotiens, des Corinthiens, des Sicyoniens, des Pellènes, des Phliasiens, des Mégariens. C’étaient des hommes d’élite de chaque nation, et qui semblaient dignes de se mesurer non-seulement avec la confédération d’Argos, mais avec toute armée qui aurait pu s’y joindre. Ce ne fut donc pas sans un vif ressentiment contre Agis, que ces troupes firent la retraite, et que chacun regagna sa patrie.

Mais les Argiens étaient encore bien plus ulcérés contre ceux qui avaient traité sans l’aveu de la multitude, assurés de leur côté que c’était dans la plus belle occasion qu’ils eussent jamais pu trouver, que l’armée de Lacédémone venait de leur échapper ; car le combat se serait livré près de leur ville et aurait été soutenu par une foule de vaillans alliés. Ils allaient, à leur retour, lapider Thrasylle dans le Charadre, où, avant de rentrer, ils jugent les délits militaires ; mais il se réfugia au pied d’un autel et sauva sa vie : ses biens furent confisqués au profit du public.

LXI. Après cet événement[1], mille hoplites d’Athènes et trois cents hommes de cavalerie vinrent à leurs secours, commandés par Lachès et Nicostrate. Les Argiens, qui, malgré leur mécontentement, hésitaient à rompre la trêve avec Lacédémone, les prièrent de s’en retourner. Quelque envie même que témoignassent les Athéniens d’entrer en négociation, ou ne les introduisit en présence du peuple qu’après y avoir été forcés par les prières des Mantinéens et des Éléens qui ne s’étaient pas encore retirés. Les Athéniens parlèrent par l’organe d’Alcibiade, leur député, au milieu des Argiens et des alliés d’Argos. Ils dirent qu’on n’avait pu traiter légalement sans le concours des puissances confédérées, qu’ils arrivaient à propos et qu’il fallait faire la guerre. Ils persuadèrent les confédérés par leurs discours, et tous se portèrent à Orchomène d’Arcadie, excepté les Argiens. Ceux-ci restèrent d’abord, sans être cependant moins persuadés que les autres ; mais ensuite eux-mêmes entrèrent en campagne. Tous assirent leur camp devant Orchomène, en firent le siège d’un commun effort, et donnèrent des assauts à la place. Ils ne manquaient pas de raisons de vouloir s’en rendre maîtres, et l’une était que les Lacédémoniens y avaient mis en dépôt des otages d’Arcadie. La faiblesse des fortifications, le grand nombre des ennemis effrayaient les assiégés ; personne ne venait à leur secours, et ils craignaient de périr faute d’assistance ; ils capitulèrent donc, à condition d’entrer dans la confédération, de donner des otages et de remettre aux Mantinéens ceux que Lacédémone leur avait confiés.

LXII. Les confédérés, maîtres d’Orchomène, délibérèrent sur la place qu’il fallait attaquer la première. Les Éléens voulaient que ce fût Léprée, et les Mantinéens Tégée. Les Argiens et les Athéniens se joignirent à ceux de Mantinée, et les Éléens se retirèrent offensés de ce que ce n’était pas pour le siège de Léprée qu’on se décidât. Le reste des alliés fit A Mantinée ses dispositions pour se porter à Tégée, et quelques uns même de ceux des Tégéates qui étaient dans la place travaillaient à la leur soumettre.

LXIII. Les Lacédémoniens, après leur retour d’Argos et la conclusion de la trêve de quatre mois, accusèrent fortement Agis de ne leur avoir pas soumis cette ville, quand l’occasion s’était présentée plus belle qu’eux-mêmes n’eussent jamais osé l’attendre. Car il n’était pas facile de rassembler des alliés en si grand nombre ni d’un si grand courage. Mais quand on leur annonça la prise d’Orchomène, ils furent encore bien plus indignés. Dans le premier accès de leur colère, ce qui n’est point dans leurs mœurs, ils délibérèrent de raser la maison d’Agis, et de le condamner à une amende de cent mille drachmes[2] :

  1. Quatorzième année de la guerre du Péloponnèse, troisième année de la quatre-vingt-dixième olympiade, quatre cent dix-huit ans avant l’ère vulgaire. Après le 11 juillet.
  2. Quatre-vingt mille livres de notre monnaie, à dix-huit sous la drachme.