Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/222

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quelqu’un des siens dans les charges. Plusieurs remplirent à Athènes la magistrature annuelle, et entre autres Pisistrate, qui portait le nom de son aïeul, et qui était le fils de cet Hippias qui jouit de la tyrannie. Il éleva, pendant qu’il était archonte, l’autel des douze dieux dans le marché, et celui d’Apollon dans l’enceinte d’Apollon Pythien. Quand le peuple, dans la suite, eut remplacé, par un plus grand autel, celui qui était dans le marché, l’inscription disparut : mais ou lit encore celle de l’autel d’Apollon, quoique l’écriture en soit fatiguée ; elle porte : « Pisistrate, fils d’Hippias, a élevé ce monument de sa magistrature dans l’enceinte consacrée à Apollon Pythien. »

LV. Qu’Hippias, comme l’aîné, ait eu la domination, c’est ce que je puis affirmer. Je l’ai appris, je l’ai entendu dire, et je me suis procuré plus que personne, à ce sujet, d’exactes informations. Voici ce qui peut faire connaître à tout le monde la vérité. On sait que seul, entre les fils légitimes de Pisistrate, Hippias eut des enfans ; c’est ce qu’indique l’inscription de l’autel, et la colonne posée dans l’acropole d’Athènes, où sont inscrits les excès des tyrans. Il n’y est nommé aucun enfant de Thessalus ni d’Hipparque, mais cinq d’Hippias : il les eut de Myrrhine, fille de Callias, qui lui-même était fils d’Hypérochide. Il est vraisemblable qu’étant l’aîné, il fut marié le premier, et sur la colonne il est inscrit le premier après son père. Il est naturel aussi qu’en qualité d’aîné, il lui ait succédé. En supposant qu’Hipparque fût mort dans la souveraineté, je crois qu’il aurait été difficile qu’Hippias eût retenu sur-le-champ la tyrannie ; et cependant on le voit, dès le même jour, mettre ordre aux affaires. C’est que les citoyens étaient accoutumés d’avance à le craindre, et qu’assuré de ses satellites, il eut plus de moyens qu’il n’en fallait pour conserver l’autorité. Il ne se trouva pas dans l’embarras qu’il aurait éprouvé s’il avait été le plus jeune, et si, dès auparavant, il n’avait pas joui constamment du pouvoir. Mais il est arrivé que le malheur d’Hipparque lui a donné de la célébrité, et l’on a cru ensuite qu’il avait été en possession de la tyrannie.

LVI. Il parvint, comme il l’avait résolu, à faire un cruel affront à Harmodius pour le punir de ses refus. Harmodius avait une jeune sœur : elle fut invitée à venir porter la corbeille à une fête, et quand elle se présenta, elle fut honteusement chassée ; on soutint qu’on ne l’avait pas mandée, et qu’elle n’était pas d’une naissance à remplir cette fonction[1]. Harmodius fut violemment irrité de cette insulte, et Aristogiton, par l’amour qu’il avait pour ce jeune homme, en fut encore bien plus indigné. Ils firent toutes leurs dispositions avec ceux qui devaient partager leur dessein, et attendirent, pour l’exécution, la fête des grandes panathénées. C’était le seul jour où l’on voyait sans défiance un grand nombre de citoyens en armes pour former le cortège de la cérémonie : eux-mêmes devaient porter les premiers coups, et leurs compagnons les aider aussitôt à se défendre contre les gardes. Pour plus de sûreté, on ne fit entrer que peu de personnes dans la conjuration. Ils espéraient n’avoir qu’à montrer de l’audace, et que ceux mêmes qu’ils n’auraient pas prévenus voudraient recouvrer la liberté, dans un moment surtout où ils se trouvaient les armes à la main.

LVII. La fête était arrivée ; Hippias, avec ses gardes, rangeait le cortège dans le Céramique, hors de la ville ; déjà s’avançaient pour le frapper Harmodius et Aristogiton, armés de poignards, quand ils virent l’un des conjurés s’entretenir familièrement avec lui ; car il se laissait aborder à tout le monde. Dans leur effroi, ils se crurent dénoncés, et s’attendaient à être arrêtés à l’instant. Ils voulurent se venger d’abord, s’il était possible, de celui qui causait leurs chagrins, et pour lequel ils bravaient tous les dangers. Aussitôt ils franchirent les portes, se jetèrent dans la ville, et rencontrèrent Hipparque dans l’endroit nommé Léocorion. Ils le voient, ils se précipitent sans être remarqués, et tous deux transportés de fureur, l’un par jalousie, l’autre parce qu’il est outragé, ils le frappent et lui donnent la mort. Aristogiton parvient d’abord à se soustraire aux gardes ; mais la foule accourt, il est pris et maltraité : Harmodius est tué sur-le-champ.

LVIII. Cette nouvelle est annoncée à Hippias dans le Céramique. Au lieu de se transporter sur le lieu, comme les citoyens armés qui accompagnaient la pompe étaient à quelque distance, il

  1. Le texte porte seulement qu’elle n’en était pas digne. Il est vraisemblable que c’était la condition de ses pères qui l’en rendait indigne. On avait coutume de choisir, pour les fonctions de canéphore, une jeune fille des meilleures maisons de la ville.