Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/246

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les mêmes qui d’abord les avaient vaincus dans le port. Ils en submergèrent onze, et tuèrent la plupart des hommes, excepté ceux de trois vaisseaux qu’ils firent prisonniers. Eux-mêmes perdirent trois de leurs bàtimens. Ils tirèrent à terre les débris des vaisseaux syracusains, dressèrent un trophée dans un îlot qui regarde Plemmyrium, et retournèrent à leur camp.

XXIV. Telle fut la fortune des Syracusains dans le combat naval : mais ils étaient maîtres des lignes de Plemmyrium, et ils élevèrent trois trophées pour célébrer cet avantage. Ils détruisirent l’un des deux petits retranchemens qu’ils avaient pris, réparèrent les autres et les firent garder. Il avait été pris ou tué bien des hommes à la défense de ces ouvrages. Toutes les richesses en furent enlevées, et elles étaient considérables. Comme c’était le magasin des Athéniens, il s’y trouvait une grande quantité d’effets et de subsistances qui appartenaient soit à des marchands, soit à des triérarques : là étaient déposées les voiles de quarante trirèmes, les autres agrès et trois trirèmes mises à sec. Mais ce qui fit le plus de tort à l’armée, ce fut la perte de Plemmyrium : car les Athéniens n’avaient plus d’abordage sûr pour l’apport des munitions. Plemmyrium devenait désormais pour les Syracusains un point de départ. Ce malheur, qui en présageait d’autres, jetait l’effroi dans l’armée, et la plongeait dans le découragement.

XXV. Les Syracusains dépêchèrent ensuite douze vaisseaux sous le commandement d’Agatharque de Syracuse. L’un était destiné pour le Péloponnèse ; il y portait des députés chargés d’y faire le rapport des belles espérances que donnait leur position, et de presser les Péloponnésiens de pousser plus vivement la guerre de terre ferme. Les onze autres vaisseaux cinglèrent pour l’Italie, où l’on avait appris qu’il passait, pour les Athéniens, des bâtimens richement chargés. Ils les rencontrèrent, en détruisirent la plupart et brûlèrent, dans la campagne de Caulonie, des bois de construction que les Athéniens y avaient préparés. Ensuite ils voguèrent à Locres. Ils y étaient à l’ancre, quand un bâtiment dè transport du Péloponnèse y aborda, portant les hoplites de Thespies. Les Syracusains les reçurent à bord de leurs vaisseaux, et reprirent la route de leur île. Cependant les Athéniens les épiaient avec vingt vaisseaux près de Mégare : ils prirent un des bâtimens avec les hommes qu’il portait, mais ils ne purent s’emparer des autres qui gagnèrent Syracuse.

Il y eut aussi dans le port une escarmouche. Les Syracusains avaient planté en mer, devant l’ancien chantier, des pilotis, pour qu’à l’abri de ce retranchement les vaisseaux pussent se tenir à l’ancre, sans être exposés aux attaques des Athéniens. Il s’agissait de les enlever. Les Athéniens amenèrent un vaisseau du port de dix mille ballots[1], garni de parapets, et surmonté de tours de bois : ils allaient sur des barques, attacher des câbles aux pilotis, les tiraient à l’aide de cabestans et les arrachaient ; des plongeurs les sciaient sous les eaux. Les Syracusains, du haut des magasins de vaisseaux, tiraient sur les Athéniens qui leur répondaient de dessus le pont. Ceux-ci parvinrent à enlever enfin la plus grande partie des pilotis. Ce qui leur donna plus de peine, ce furent ceux qui étaient cachés sous la mer ; car on en avait planté qui, ne s’élevant pas à fleur d’eau, étaient fort dangereux pour les vaisseaux qui en approchaient ; on ne les apercevait pas, et l’on échouait comme contre un rocher. Des plongeurs, gagnés à prix d’argent, parvinrent à les scier. Cependant les Syracusains en plantèrent de nouveaux.

Il se fit des deux côtés bien d’autres tentatives, comme on devait l’attendre de deux armées en présence, et rangées en face l’une de l’autre. On se harcelait, on se tâtait de toutes les manières. Les Syracusains envoyèrent dans les villes une députation composée de Corinthiens, d’Ambraciotes et de Lacédémoniens : ils y annoncèrent la prise de Plemmyrium, et ce combat naval, où ils avaient été vaincus par leur propre désordre plutôt que par la force des ennemis. Ils leur montrèrent que, d’ailleurs, on avait de justes espérances, et les prièrent de leur donner des secours de vaisseaux et de troupes de terre ; ajoutant que les Athéniens attendaient une nouvelle armée ; mais qu’il suffisait de la prévenir en battant la première, et que les affaires des ennemis étaient désespérées. Voilà ce qui se passait en Sicile.

XXVI. Démosthène, quand l’armée qu’il devait y conduire fut rassemblée, partit d’Égine,

  1. Les anciens comptaient le port de leurs vaisseaux par ballots, comme nous le comptons par tonneaux.