Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/25

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reux, leur inspirerait plus de confiance ; qu’enfin ce n’est pas, en ce moment, sur le sort de Corcyre plutôt que sur celui d’Athènes qu’il délibère. Il pourvoit bien mal aux intérêts de cette république, celui qui ne considère que l’instant présent, et qui, pour une guerre qui se fera, qui déjà commence en quelque sorte, hésite à se fortifier de la jonction d’une ville qu’il n’est pas indifférent d’avoir pour amie ou pour ennemie. Sans parler de ses autres avantages, elle domine sur le passage de l’Italie et de la Sicile ; elle peut empêcher qu’une flotte ne passe de là dans le Péloponnèse, ni du Péloponnèse dans ces contrées. Apprenez en peu de mots, qui renferment tout, à ne pas nous refuser. Il est dans la Grèce trois puissances maritimes, dignes de considération ; la vôtre, la nôtre, celle des Corinthiens : si vous souffrez que deux de ces puissances n’en fassent qu’une, si les Corinthiens se rendent maîtres de notre île, vous aurez à combattre à la fois sur mer les Corcyréens et les Péloponnésiens ; mais, en acceptant notre alliance, vous aurez nos flottes de plus pour lutter contre le Péloponnèse. »

Ce fut dans des termes semblables que s’exprimèrent les Corcyréens. Les Corinthiens, après eux, parlèrent à peu près ainsi :

XXXVII. « Puisque les députés de Corcyre ne se sont pas bornés, dans leur discours, à solliciter votre alliance, mais qu’ils ont parlé de nos injustices, et du tort que nous avons de leur faire la guerre, nous sommes obligés, avant de traiter le sujet qui nous amène, de répondre à ces deux reproches : ainsi vous serez plus en état d’apprécier notre demande, et vous ne rejetterez pas sans motif ces grands avantages qu’ils vous présentent.

« C’est par sagesse, disent-ils, qu’ils n’ont accepté l’alliance de personne. Non ; c’est un parti qu’ils ont pris par scélératesse et non par vertu ; ils ne voulaient avoir aucun allié pour témoin de leurs injustices, ni appeler des amis pour rougir devant eux. D’ailleurs leur ville est très avantageusement située pour les rendre juges de ceux qu’ils maltraitent, et indépendans de toute convention. Il est fort rare qu’ils naviguent chez les autres ; et souvent la nécessité pousse les autres dans leur repaire. Aussi n’est-ce pas dans la crainte de partager l’injustice des autres qu’ils ont pris le parti généreux de rester isolés ; mais pour être seuls quand ils se livrent à l’injustice ; pour s’abandonner à la violence quand ils se trouvent les plus forts, gagner davantage dans le secret, et nier sans honte leurs larcins. Sans doute s’ils avaient cette intégrité dont ils se parent, plus ils sont indépendans de leurs voisins, plus ils devraient mettre en évidence leur vertu, en se soumettant aux voies de droit dans leurs contestations.

XXXVIII. « C’est ce qu’ils ne pratiquent ni avec les autres ni avec nous. Sortis de notre sein, ils se sont toujours montrés rebelles, et maintenant ils nous font la guerre. Leur excuse est qu’ils n’ont pas été envoyés en colonie pour être maltraités : notre réponse est que nous ne les avons pas envoyés en colonie pour en recevoir des offenses, mais pour les commander et pour en recevoir les respects qu’ils nous doivent. Nos autres colonies nous révèrent ; je dirai plus, elles nous aiment : et si nous plaisons aux autres, qui sont en plus grand nombre, et que nous leur déplaisions à eux seuls, c’est à eux sans doute que le tort doit être imputé. J’avoue que nous serions condamnables de leur faire la guerre, si nous n’avions pas été grièvement offensés ; mais quand nous aurions même ce tort, ce serait un honneur pour eux de céder à notre colère, et la honte serait pour nous, de nous permettre la violence contre leur modération. Mais devenus insolens et gonflés de leurs richesses, après bien d’autres injures, sans avoir réclamé la ville d’Épidamne, qui nous appartient, lorsqu’elle souffrait les horreurs de la guerre, ils l’ont prise de vive force, quand nous venions la secourir.

XXXIX. « Ils disent qu’ils ont offert d’abord de se soumettre à des arbitres : mais ce n’est pas respecter la justice, que de mettre la force de son côté, et d’attendre qu’on n’ait plus rien à craindre pour établir ses raisons et appeler en jugement son adverse partie. Il faut, avant d’entrer en procès, se montrer juste en procédés aussi bien qu’en paroles. Ce n’est pas avant de commencer le siège d’Épidamne, mais lorsqu’ils ont cru que nous ne mépriserions pas cet outrage, qu’ils ont affecté de réclamer la justice. Et non contens de s’être rendus coupables par cette entreprise, ils viennent à présent vous inviter, non pas à leur alliance, mais à partager leur crime. Ils ont commencé par