Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/251

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naissances et à leurs forces ; mais surtout encore plus encouragés par le succès du dernier combat naval, ils attaquèrent à la fois avec leurs troupes de terre et avec leur flotte. Gylippe, un peu avant que les vaisseaux se missent en mouvement, fit sortir les troupes de terre, et les conduisit aux lignes des Athéniens, du côté qui regarde la ville, tandis que, de l’autre côté de ces ouvrages, s’avança par son ordre tout ce qu’il y avait à Olympium d’hoplites, de cavalerie et de troupes légères. Aussitôt après se mirent en mer les vaisseaux des Syracusains et des alliés. Les Athéniens, qui d’abord ne s’attendaient à voir agir que les troupes de terre, furent troublés, en voyant aussi tout à coup la flotte s’avancer. Les uns se mettaient en bataille sur les murs et en avant des murs ; d’autres allaient au-devant de la cavalerie et des gens de traits qui s’avançaient lestement d’Olympium et des autres endroits du dehors ; d’autres, à la fois, montaient sur les vaisseaux, et s’empressaient de porter du secours sur la côte. Dès que les bâtimens furent garnis de troupes, on les conduisit à l’ennemi au nombre de soixante-quinze[1]. Les Syracusains en avaient à peu près quatre-vingts.

XXXVIII. Pendant la plus grande partie du jour, on ne fit que se charger, se repousser, se tâter réciproquement, sans que, de part ni d’autre, on pût rien faire de remarquable ; seulement les Syracusains coulèrent bas un ou deux vaisseaux d’Athènes, et l’on se sépara. En même temps l’armée de terre s’éloigna des murailles. Le lendemain les Syracusains se tinrent en repos, sans rien manifester de ce qu’ils voulaient faire. Comme les forces s’étaient montrées égales dans le combat de mer, Nicias s’attendait à voir les ennemis renouveler l’attaque : il obligea les triérarques à faire radouber ceux des vaisseaux qui avaient souffert, et ordonna de mettre à l’ancre des bâtimens de charge en avant des pilotis qu’il avait plantés en mer devant les vaisseaux, et qui les tenaient renfermés comme dans un port. Il disposa ces bâtimens à deux arpens l’un de l’autre, pour procurer aux vaisseaux qui pourraient être repoussés une retraite sûre d’où ils retourneraient à loisir au combat. Ces travaux occupèrent les Athéniens tout le jour et ne furent terminés qu’à la nuit.

XXXIX. Le jour suivant, de meilleure heure que la dernière fois, les Syracusains firent par terre et par mer une attaque semblable à la précédente. Les deux flottes en présence passèrent encore une grande partie de la journée à se tâter l’une l’autre. Mais enfin Ariston de Corinthe, fils de Pyrrichus, le meilleur pilote qui fût à Syracuse, donna un bon conseil aux commandans de la flotte : ce fut d’envoyer ordre à ceux qui, dans la ville. étaient chargés de la police, d’établir à la hâte un marché sur le bord de la mer, et d’obliger les marchands à y apporter en vente tout ce qu’ils avaient de comestibles. Les gens de la flotte descendraient, prendraient un repas sans s’éloigner des vaisseaux, et aussitôt après, dans le même jour, ils feraient une seconde attaque, à laquelle les Athéniens seraient loin de s’attendre.

XL. On le crut, on envoya l’ordre, et le marché fut prêt. Aussitôt les Syracusains ramèrent à la pouppe, se rapprochèrent de la ville, descendirent et prirent leur repas. Les Athéniens crurent qu’ils faisaient cette retraite, se regardant comme vaincus : ils descendirent à leur aise, apprêtèrent à manger, et firent tout ce qu’ils voulurent, comme n’ayant plus à combattre du reste de la journée. Mais tout à coup les Syracusains rentrent sur leurs vaisseaux et s’avancent une seconde fois. Les Athéniens, dans le plus grand trouble, et encore à jeun la plupart, montèrent sans ordre sur leur flotte, et ne vinrent qu’avec peine à leur rencontre. On fut quelque temps sans agir et ne faisant que s’observer les uns les autres. Enfin, les Athéniens craignirent de se perdre eux-mêmes en se fatigant sans combattre, et prirent le parti de ne plus différer l’attaque. L’ordre donné, ils engagèrent l’action. Les Syracusains les reçurent, et frappant de la proue, comme ils l’avaient résolu, ils brisaient à coups d’éperons l’avant des vaisseaux ennemis, tandis que, du haut des ponts, les soldats faisaient beaucoup de mal aux hommes en les accablant de javelots ; mais ce qui leur fut le plus funeste, ce furent les troupes qui montaient les barques légères ; elles les faisaient passer par-dessous les rames, rasaient les flancs des navires et accablaient de traits les équipages.

XLI. En un mot, les Syracusains remportèrent une victoire complète. Les Athéniens, mis en fuite, passèrent entre leurs bâtimens de

  1. Juillet.