Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/256

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vaisseaux, et mirent à s’exercer autant de jours qu’il sembla nécessaire. Quand ils crurent le moment favorable, ils commencèrent le premier jour par attaquer les retranchemens[1]. Il sortit contre eux, par quelques portes, des corps peu considérables, hoplites et cavaliers ; les Syracusains firent prisonniers quelques-uns de ces hoplites et poursuivirent le reste. Comme le passage était étroit, les Athéniens perdirent soixante-dix cavaliers et un petit nombre d’hoplites.

LII. Les Syracusains rentrèrent ce jour-la ; mais le lendemain ils firent sortir soixante-seize vaisseaux, pendant que les troupes de terre marchaient aux retranchemens[2]. Les Athéniens cinglèrent à la rencontre avec quatre-vingt-six navires. L’action commença. Eurymédon commandait l’aile droite des Athéniens ; il voulait renfermer la flotte ennemie, et s’étendait en rasant la côte ; mais les Syracusains, après avoir battu le centre, le resserrèrent dans un enfoncement du port, brisèrent son vaisseau et ceux qui le suivaient, poursuivirent tout le reste de la flotte et la poussèrent au rivage.

LIII. Gylippe voit la flotte athénienne vaincue et portée hors des pilotis qui lui servaient d’asile ; il veut achever la défaite des troupes qui descendraient à terre : c’était donner aux Syracusains plus de facilité à remorquer les vaisseaux, quand le rivage serait nettoyé d’ennemis. Il prit avec lui un détachement et alla porter du secours sur les jetées du port. Les Tyrséniens y étaient de garde pour les Athéniens : ils virent cette troupe approcher sans ordre, s’avancèrent, attaquèrent les premiers qui se présentaient, les mirent en fuite, et les poussèrent jusqu’au lac Lysimélie. Mais bientôt arrivèrent des corps plus nombreux de Syracusains et d’alliés ; les Athéniens survinrent pour soutenir les Tyrséniens et protéger leurs vaisseaux ; ils engagèrent le combat, furent vainqueurs, et poursuivirent les vaincus. Ils tuèrent beaucoup d’hoplites, sauvèrent la plus grande partie de leurs vaisseaux, et les ramenèrent à leur station. Mais les Syracusains leur en prirent dix-huit, tant d’Athènes que des alliés, et tuèrent les hommes. Ils voulaient incendier le reste de la flotte ; le vent portait du côté des Athéniens : ils lancèrent contre eux un vieux bâtiment de charge, rempli de torches et de sarmens, auxquels ils mirent le feu. Les Athéniens, qui craignaient pour leurs vaisseaux, travaillèrent à l’éteindre, apaisèrent la flamme, empêchèrent le brûlot d’approcher, et sortirent de péril.

LIV. Les Syracusains élevèrent un trophée, pour célébrer leur victoire navale et celle qu’ils avaient remportée au moment où ils prirent les hoplites près des retranchemens, et où ils firent aussi des prisonniers sur la cavalerie. Les Athéniens en dressèrent un de leur côté pour la victoire des Tyrséniens qui avaient mis en fuite l’infanterie, et l’avaient poussée jusqu’au lac, et pour celle qu’eux-mêmes avaient remportée avec le reste de leur armée.

LV. La flotte amenée par Démosthène avait d’abord effrayé les Syracusains ; mais quand ils eurent remporté sur mer une victoire éclatante, les Athéniens, à leur tour, furent au comble de la consternation ; ils ne pouvaient concevoir leur malheur, et regrettaient encore plus de ne s’être pas retirés. Les seules villes auxquelles ils faisaient la guerre étaient, comme Athènes, sous le gouvernement populaire ; elles étaient considérables, elles avaient des flottes et de la cavalerie ; ils ne pouvaient donc, pour se les attacher, semer chez elles la dissension, par l’attrait d’un changement de régime ; ils ne pouvaient non plus les effrayer par l’appareil de leurs forces, comme s’ils leur étaient bien supérieurs, lorsqu’ils avaient succombé dans la plupart de leurs entreprises. Dès auparavant dans l’embarras, ils étaient tombés au comble de l’abattement, depuis qu’ils venaient d’être vaincus par mer, ce qu’ils avaient regardé comme impossible.

LVI. Les Syracusains traversèrent aussitôt le pont sans aucune crainte, et résolurent d’en clore l’entrée, pour empêcher les Athéniens, s’ils en formaient le projet, de cacher leur retraite. Ce n’était plus à se sauver eux-mêmes qu’ils mettaient leurs soins, mais à les empêcher de se sauver. Ils croyaient (ce qui était vrai) que les circonstances leur donnaient une grande supériorité, et que s’ils pouvaient remporter sur les Athéniens une victoire décisive par terre et par mer, ce serait une belle lutte qu’ils auraient soutenue en faveur des Grecs : car, dès ce moment, les autres peuples de la Grèce seraient les

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