Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/277

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espérances de l’Ionie, à porter les plus prompts secours à Milet, et à ne pas voir d’un œil indifférent investir cette place d’une muraille.

XXVII. Elles allaient agir dès le point du jour ; mais Phrynicus, général des Athéniens, ayant appris de Léros l’arrivée de la flotte, et voyant ses collègues déterminés à l’attendre et à livrer un combat naval, déclara qu’il n’en ferait rien, et qu’il s’opposerait de tout son pouvoir à ce qu’eux-mêmes ou tout autre courussent ce hasard ; qu’on serait tout aussi bien maîtres de combattre quand on saurait avec certitude le nombre des vaisseaux ennemis, et ce qu’on en avait à leur opposer, et qu’on aurait équipé la flotte à loisir et comme elle devait l’être ; qu’il ne consentirait pas que, par une mauvaise honte, on allât se mettre follement en danger ; qu’il ne serait pas honteux aux Athéniens de céder en mer aux circonstances, mais qu’il le serait bien davantage d’éprouver une défaite, de quelque manière que ce pût être, et de ne pas livrer seulement la république au déshonneur, mais de la plonger dans le plus grand péril ; qu’après les malheurs qu’elle venait d’éprouver, il lui serait permis à peine d’engager volontairement la première une action, lors même qu’elle se trouverait en force, et quelle y serait contrainte par la nécessité ; comment donc, sans y être forcée, s’exposerait-elle à des dangers qui seraient de son choix ? Il ordonna de prendre au plus tôt les blessés, l’infanterie, tout le bagage qu’ils avaient apporté, de laisser le butin qu’ils avaient fait sur l’ennemi, pour ne pas surcharger les vaisseaux, et de cingler à Samos ; de là, après avoir rassemblé toute la flotte, on pourrait, si les circonstances étaient favorables, faire des courses sur les ennemis. Il fit goûter ce projet et le mit à exécution. La sagesse de Phrynicus se montra non-seulement dans cette occasion, mais encore dans la suite, et aussi bien dans toutes les affaires dont il eut le maniement que dans celle dont nous venons de parler. Ainsi, dès le soir, les Athéniens s’éloignèrent de Milet sans profiter de leur victoire. Les Argiens, chagrins de leur défaite, passèrent aussitôt de Samos dans leur pays.

XXVIII. Les Péloponnésiens, avant l’aurore, levèrent l’ancre de Tichiusse, allèrent à Milet et y passèrent un jour. Le lendemain, ils prirent avec eux les vaisseaux de Milet, qui avaient accompagné Chalcidée, et qu’avaient chassés les ennemis, et retournèrent à Tichiusse pour y prendre les effets qu’ils y avaient déposés. Ils étaient arrivés, quand Tissapherne s’y rendit avec ses troupes de terre. Il leur persuada de faire voile pour Iasos, où se tenait Amorgès, ennemi du roi. Leur attaque fut subite, et comme on était loin de les attendre, on crut que ce ne pouvait être qu’une flotte d’Athènes. Ils enlevèrent la place. Les Syracusains furent ceux qui méritèrent le plus d’éloges dans cette affaire. On prit vif Amorgès, ce bâtard de Pissusthènes, qui s’était révolté contre le roi. Les Péloponnésiens le livrèrent à Tissapherne, pour le conduire, s’il le voulait, au roi comme il en avait reçu l’ordre. Ils pillèrent Iasos, ville qui jouissait d’une ancienne opulence, et les soldats y firent un riche butin. Loin de faire aucun mal aux auxiliaires d’Amorgès, ils les prirent avec eux et les reçurent dans leurs rangs, parce que c’étaient, la plupart, des hommes du Péloponnèse. Ils abandonnèrent à Tissapherne la place et les prisonniers, tant esclaves qu’hommes de condition libre ; il les leur paya cent dariques par tête[1]. Ils revinrent ensuite à Milet, firent passer par terre jusqu’à Érythres, avec les troupes auxiliaires d’Amorgès, Pédarile, fils de Léon, que les Lacédémoniens avaient envoyé pour commander à Chio, et laissèrent Philippe à Milet. L’été finit.

XXIX. L’hiver suivant[2], Tissapherne, après avoir établi une garde à Iasos, se rendit à Milet, et, suivant la promesse qu’il avait faite à Lacédémone, il donna, pour un mois de subside, une drachme attique[3] à chaque soldat de tous les vaisseaux. Il voulait, pour le reste du temps, ne donner que trois oboles[4], jusqu’à ce qu’il eût consulté la volonté du roi ; ajoutant que, s’il en recevait l’ordre de ce prince, il donnerait la drachme entière. Hermocrate, le

  1. Le darique était un statère. On disait stateres darici, philippei, alexandrei. Mais cela même indique qu’il y avait entre les statères des différences de valeur, comme il s’en trouve, chez les modernes, entre les écus. L’écu de France, l’écu romain, etc., ne font pas la même somme. Ainsi, quoique le statère grec fût du poids de quatre drachmes, ce qui fait trois livres douze sous de notre monnaie, je ne puis fixer la valeur du stater daricus.
  2. Apres le 2 octobre.
  3. La drachme valait dix-huit de nos sous.
  4. Neuf sous, à trois sous l’obole.