XCIII. Le lendemain, les quatre-cents, tout troublés qu’ils étaient, s’assemblèrent au conseil. Les hoplites du Pirée relâchèrent Alexiclès, et ayant détruit la muraille, ils se rendirent au théatre de Bacchus ; ils s’y mirent en armes, formèrent une assemblée, et d’après la résolution qu’ils y prirent, ils coururent à la ville et se tinrent tout armés dans l’Anacée[1]. il s’y rendit quelques personnes choisies par les quatre-cents, et il s’établit des pourparlers d’homme à homme. On engagea ceux qu’on vit les plus modérés à se tenir en repos et à contenir les autres. On assura qu’on ferait connaître les cinq-mille, et que ce serait entre eux, et à leur choix, que seraient pris les quatre-cents ; qu’en attendant, il ne fallait pas perdre l’état et le jeter en proie aux ennemis. Comme beaucoup de personnes parlaient dans le même esprit, et que beaucoup aussi les écoutaient, la foule des hoplites devint plus tranquille ; elle craignait surtout de mettre tout l’état en danger. On convint de tenir, à jour prescrit, une assemblée au théâtre de Bacchus pour ramener la concorde.
XCIV. Le jour marqué pour l’assemblée au théâtre de Bacchus arriva ; elle était sur le point d’être formée, quand on vint annoncer qu’Hégésandridas, avec quarante-deux vaisseaux, passait de Mégare à Salamine. Il n’y eut aucun hoplite qui ne crût voir accompli ce que disaient depuis long-temps Théramène et ses partisans, que cette flotte s’avançait au nouveau fort, et qu’on avait bien fait de le raser. C’était peut-être en effet d’après quelques intelligences qu’Hégésandridas croisait de ces côtés et autour d’Épidaure ; mais il n’est pas hors de vraisemblance qu’il s’y arrêtait à cause des troubles d’Athènes, et dans l’espérance qu’il pouvait bien être arrivé à propos. À cette nouvelle, les Athéniens en masse coururent au Pirée, se croyant menacés, de la part des ennemis, d’une guerre plus redoutable que leurs querelles intestines, et dont le théâtre n’était pas éloigné, mais devant leur port. Les uns montaient les vaisseaux qui se trouvaient appareillés, les autres tiraient des batimens à la mer, d’autres s’apprêtaient à défendre les murs et l’entrée du port.
XCV. Cependant la flotte du Péloponnèse, suivit la côte de Sunium, mit à l’ancre entre Thoria et Prasies, et finit par gagner Orope. Les Athéniens, au milieu de la dissension qui régnait dans leur ville, et pressés de se défendre contre le plus grand danger, furent obligés de se servir à la hâte des premiers matelots qu’ils purent se procurer, et firent partir pour Erétrie une flotte commandée par Thymocharis. L’Attique investie comme elle l’était, l’Eubée devenait tout pour eux. Leur flotte arrivée à sa destination, et renforcée des vaisseaux qui se trouvaient d’avance dans cette île, était de trente-six voiles. Elle fut aussitôt dans la nécessité de combattre ; car Hégésandridas, après l’heure du repas, partit d’Orope qui, par mer, n’est qu’à environ soixante stades[2] d’Érétrie. Il s’avançait, et les Athéniens allaient monter leurs vaisseaux, les croyant garnis de soldats ; mais ceux-ci étaient allés acheter des vivres pour le dîner, non pas au marché ; car les Érétriens avaient eu la précaution d’empêcher qu’il ne s’y vendît rien ; mais dans des maisons particulières, aux extrémités de la ville. C’était pour ne les pas laisser mettre à temps en mer, donner aux ennemis l’aisance de les prévenir, et forcer les Athéniens à sortir au combat dans le mauvais état où ils se trouveraient. On avait fait pis encore, en donnant de la ville aux Péloponnésiens le signal du moment où ils devaient partir. Ce fut dans ce triste appareil que les Athéniens mirent en mer ; ils combattirent au-dessus du port d’Érétrie, et ne laissèrent pas que de résister quelque peu de temps ; mais bientôt mis en fuite, ils furent poursuivis à la côte. Ceux qui cherchèrent un refuge dans la ville des Érétriens, comme dans une place amie, furent les plus malheureux ; tous furent égorgés. Ceux qui gagnèrent le fort que les Athéniens avaient dans l’Érétrie, y furent en sûreté, ainsi que les vaisseaux qui passèrent dans la Chalcide. Les ennemis prirent vingt-deux bâtimens athéniens, tuèrent une partie des hommes, firent prisonniers les autres, et dressèrent un trophée. Peu de temps après, ils firent soulever l’Eubée entière, à l’exception d’Oréum, que les Athéniens occupaient, et mirent ordre aux affaires dans le pays.
XCVI. A la nouvelle des événemens de l’Eu-