Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tait une canne. La nouvelle s’en répand ; chaque soldat qui l’apprend craint d’étre surpris avec une canne : les cannes disparaissent. Étéonice convoque ensuite les insulaires et leur demande une somme pour payer les matelots et empêcher toute sédition. Ils n’eurent pas plutôt satisfait à la contribution, qu’il ordonna de remonter sur les vaisseaux ; il visita les soldats, les rassura, les encouragea comme s’il n’eût rien su de la conspiration, puis leur compta la paye d’un mois.

Les habitans de Chio et les autres alliés, s’étant assemblés à Ephèse, résolurent d’envoyer des ambassadeurs à Lacédémone : ils l’informeraient du présent état des choses et demanderaient pour navarque Lysandre, qui, dans l’exercice de ses fonctions, vainqueur à Notium, avait obtenu l’estime des alliés. Ces ambassadeurs partirent accompagnés de ceux de Cyrus, chargés de la même négociation. Comme les Lacédémoniens ne confèrent pas deux fois cette dignité au même citoyen, ils ne donnèrent à Lysandre que le titre de lieutenant ; Aracus eut celui de navarque. La flotte fut confiée à Lysandre, la vingt-cinquième année de la guerre.

La même année, Cyrus tua Autobésace et Mitrée, ses cousins, tous deux fils de la sœur de Darius Nothus, qui avait, ainsi que sa sœur, Artaxerxe Longuemain pour père. Ces deux princes, se trouvant un jour à sa rencontre, n’avaient pas caché leurs mains dans les manches de leur robe, honneur qui ne se rend qu’au roi. Ces manches étant plus longues que la main, quand on l’y tient renfermée, on ne peut agir. Hiéramène et sa femme ayant représenté à Darius qu’il se déshonorerait s’il fermait les yeux sur un pareil excès, ce prince feignit d’être malade, et lui envoya des courriers pour lui signifier son rappel.

L’année suivante, sous l’éphorat d’Archytas, et sous l’archontat d’Alexius, Lysandre vint à Éphèse ; il y manda de Chio Étéonice avec ses galères, y rassembla toutes celles éparses en différents parages, pour les radouber, tandis qu’on en construirait d’autres à Antandre. De là, il alla demander de l’argent à Cyrus. Ce prince, après lui avoir dit qu’il avait employé même au-delà des fonds accordés par le roi, et avoir montré ce qu’il avait fourni à chaque navarque, le satisfit néanmoins. Avec ces fonds, Lysandre créa de nouveaux triérarques et paya ce quiétait dû aux matelots. Les généraux athéniens, de leur côté, équipaient leur flotte à Samos.

Sur ces entrefaites, arrive à Cyrus un courrier ; il lui apprend que son père est malade à Thamnérie, canton de Médie, voisin des Cadusiens révoltés, avec qui il est en guerre, et qu’il le rappelle. Cyrus mande Lysandre à Sardes. Lysandre s’y rend ; Cyrus lui défend de livrer bataille à moins qu’il ne soit de beaucoup plus fort que l’ennemi ; le roi et lui avaient assez d’argent pour armer une puissante flotte. il lui délégua tous les tributs que lui payaient les villes de son gouvernement, lui fit présent des fonds qui lui restaient ; et après l’avoir assuré de son affection pour les Lacédémoniens, et pour lui en particulier, il partit pour la haute Asie.

Après le départ de Cyrus, qui l’avait comblé de largesses, Lysandre paya ses troupes, cingla en Carie vers le golfe Céramique, assiégea Cédrée, ville alliée des Athéniens, à demi peuplée de Barbares, la prit dans l’attaque du lendemain et la livra au pillage. De là, il fit voile à Rhodes. Cependant les Athéniens, partis de Samos, ravageaient les côtes d’Asie, et voguant vers Chio et vers Éphése, se préparaient au combat, après avoir associé à leurs autres généraux Ménandre, Tydée et Céphisodote.

Lysandre, de son côté, s’avança de Rhodes le long de l’Ionie vers l’Hellespont, pour épier les vaisseaux qui en sortaient, et soumettre les villes révoltées ; tandis que les Athéniens allaient à Chio, prenant le large, pour éviter les côtes qui étaient ennemies. Il marcha ensuite d’Abyde à Lampsaque, alliée des Athéniens. Des Abydéniens et d’autres encore le suivaient par terre, sous le commandement du Lacédémonien Thorax. Il assiégea et emporta d’assaut cette place opulente, abondante en vin, blé et autres provisions. Tout fut livré au pillage : on épargna toutes les personnes de condition libre. Les Athéniens qui suivaient ses traces, mouillèrent au port d’Éléonte, dans la Chersonèse, avec cent quatre-vingts galères. ils y dînaient lorsqu’on leur apprit la prise de Lampsaque. Aussitôt ils gagnèrent Seste, s’y approvisionnèrent, puis abordèrent vis-à-vis de Lampsaque