Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/334

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Mania, de leur garnison grecque. Mais le gouverneur de Cébrène, place forte, croyant recevoir de grandes récompenses de Pharnabaze s’il lui conservait la ville, ferma les portes à Dercyllidas, qui, indigné de son opiniâtreté, se prépare à l’attaque. Les sacrifices du premier jour ne lui ayant rien présagé de bon, le lendemain il en offrit d’autres, qui ne lui furent pas plus favorables. Il sacrifia donc, et le troisième et le quatrième jour, quoique découragé, parce qu’il lui tardait de réduire toute l’Éolie avant l’arrivée de Pharnabaze.

Un capitaine sicyonien, nommé Athénadas, jugeant que Dercyllidas perdait son temps, et croyant pouvoir ôter l’eau aux Cébréniens, accourut avec sa compagnie et tenta de boucher la source. Les assiégés firent une sortie où ils le blessèrent, tuèrent deux de ses soldats, et tant à coups de main que de traits repoussèrent les autres.

Dercyllidas s’affligeait de cet échec et craignait que l’on ne mît moins d’ardeur à l’attaque, lorsqu’il lui arriva des hérauts envoyés de la ville par les Grecs. Ils déclarèrent que la conduite du gourverneur ne leur plaisait point, qu’ils aimaient mieux obéir à des Grecs qu’à des Barbares. Pendant l’entrevue, on lui présenta un envoyé du gouverneur, qui venait annoncer que son maître acquiesçait à toutes les propositions des hérauts. Dercyllidas, à qui ce jour-là les entrailles des victimes avaient donné des signes favorables, approcha aussitôt avec ses troupes des portes de Cébrène, qui lui furent ouvertes. Il y établit garnison, et marcha droit à Scepsis et à Gergithe.

Midias s’attendait à l’arrivée de Pharnabaze, et se défiait enméme temps des habitans de ces deux villes. Il députa donc vers Dercyllidas, et lui demanda une entrevue et des otages. Dercyllidas lui en envoya un de chaque ville alliée, avec liberté d’en prendre tant qu’il voudrait, et à son choix. Midias en prit dix, sortit de Scepsis, le vint trouver à son camp et lui demanda à quelles conditions il ferait alliance avec lui. À condition, répondit-il, que vous laisserez les habitans se gouverner librement par leurs propres lois ; et tout en parlant ainsi, il s’avança vers Scepsis. Midias, qui voyait bien qu’il ne pourrait pas lui résister contre le vœu général, le laissa entrer.

Dercyllidas, ayant sacrifié à Minerve dans la forteresse de Scepsis, fit sortir la garnison et rendit la ville à ses habitans, en les exhortant à se gouverner comme il convenait à des Grecs et à des hommes libres. De là, il alla à Gergithe ; une grande quantité de Scepsiens l’accompagnaient par honneur, joyeux d’ailleurs de ce qui se passait. Midias, qui était du cortége, le priait de lui laisser Gergithe. — « Rien de ce qui est juste, dit-il, ne vous sera refusé. » En même temps il s’avançait vers les portes, suivi de ses soldats, qui marchaient paisiblement deux à deux. Du haut des tours très élevées, on vit Midias avec lui ; aucun trait ne fut lancé. Faites ouvrir les portes, lui dit alors Dercyllidas, je vous suivrai ; j’entrerai sous vos auspices dans le temple, pour sacrifier à Minerve. Midias hésita d’abord ; mais dans la crainte d’être arrêté sur-le-champ, il commanda qu’on ouvrît les portes. Dercyllidas entre avec lui, va droit à la citadelle, fait mettre bas les armes à ses soldats le long des murs, et monte au temple avec sa suite. Après le sacrifice, il ordonne aux gardes de Midias de mettre les armes bas au front de son armée : ils seraient désormais à sa solde, puisque Midias n’avait plus rien à craindre.

Midias, incertain du parti qu’il prendrait, lui dit qu’il se retirait pour lui préparer un banquet. Non, par Jupiter ! lui répliqua Dercyllidas ; il serait mal à moi qui ai sacrifié, de vous laisser un soin qui me regarde. Restez donc ici ; tandis que le banquet s’apprêtera, nous aviserons à ce qu’il convient de faire, et nous l’exécuterons. Lorsqu’ils furent assis, Dercyllidas lui fit les questions suivantes :

« Dites-moi, Midias, votre père vous a laissé du bien ? — Assurément. — Combien possédait-il en maisons, en terres, en prairies ? » Il en fit l’énumération. Des Scepsiens, qui se trouvaient là, l’accusèrent d’imposture. « Voudriez-vous, leur dit-il, des détails minutieux ? » Quand enfin il eut rendu compte, article par article, des biens de son père : — « Et Mania, à qui était-elle ? À Pharnabaze, s’écria-t-on tout d’une voix. — À Pharnabaze appartiennent donc les biens de cette princesse. — Oui, lui répondit-on. — Ils sont maintenant à moi, puisque la victoire me les donne : que l’on me conduise donc au lieu qui renferme le trésor de Pharnabaze et de Mania. » On le conduisit à la maison de Mania, dont s’était emparé Midias, qui le suivait. Il arrive,