Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/346

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je vous conseille de prendre cette jeune princesse pour femme ; elle est d’une beauté accomplie : pour un mari quelle volupté ! de plus, elle est fille d’un père très noble et très puissant, qui a si bien châtié l’injuste Pharnabaze, qu’il l’a, comme vous voyez, chassé de toute la Phrygie. Considérez que Spithridate, qui a su se venger d’un tel ennemi, pourra aussi obliger un ami. Sachez que si ce mariage réussit, vous ne serez pas seulement gendre de Spithridate, mais d’Agésilas, de tous les Spartiates, de la Gréce entière, à laquelle nous commandons. Si vous acceptez, qui jamais aura célébré des noces plus brillantes que les vôtres ? quelle jeune épouse aura été conduite dans la maison de son époux escortée d’autant de cavaliers, de peltastes et d’hoplites ? — Agésilas, Spithridate approuve-t-il ce que vous dites ? — J’en prends les dieux à témoin, il ne m’a point chargé de ces avances ; mais trop heureux quand je me venge d’un ennemi, j’éprouve bien plus de plaisir encore lorsque je découvre les moyens de servir un ami. — Que ne vous assurez-vous s’il partage vos sentimens ? — Allez, Hérippide, le disposer à entrer dans nos vues. » Hérippide et ses collègues se lèvent, exécutent les ordres.

Comme ils tardaient, Agésilas demanda à Cotys s’il trouverait bon qu’on fît venir Spithridate. « Assurément, lui répondit Cotys ; vous persuaderez mieux que qui que ce soit. » Agésilas mande donc Spithridate : ils arrivent tous ensemble. « Agésilas, dit alors Hérippide sans entrer dans un long détail, les dernières paroles de Spithridate sont qu’il approuvera tout ce que vous déciderez. — Selon moi, vous ferez bien, vous, Spithridate, de donner votre fille à Cotys ; vous, Cotys, de la prendre pour femme ; mais nous ne pourrons avant le printemps vous emmener par terre votre épouse. — Ne pourrait-on pas, si vous le vouliez, me l’emmener par mer ? »

À ce mot, l’on se donna les mains de part et d’autre, et Cotys partit. Agésilas, qui avait remarqué son impatience, équipa promptement une galère sur laquelle il chargea Callias de conduire la jeune princesse, et marcha ensuite vers Dascylie, où était situé le palais de Pharnabaze, entouré de villages considérables et bien approvisionnés : des parcs clos de toutes parts, ou des plaines spacieuses, invitaient à la chasse. Autour de Dascylie coulait une rivière abondante en poissons de toute espèce. Les volatiles ne manquaient pas à ceux qui pouvaient chasser aux oiseaux.

Agésilas y établit donc ses quartiers d’hiver et se procura des vivres, tant sur le lieu même qu’en différentes excursions. Les soldats, qui jusqu’alors n’avaient fait aucune perte, méprisaient l’ennemi, fourrageaient dispersés sans défiance dans la plaine, quand Pharnabaze survint avec deux chariots armés de faux, et quatre cents cavaliers. Les Grecs le voyant avancer avec sa cavalerie, rassemblèrent promptement un bataillon de sept cents hommes. Pharnabaze, sans délai, place ses chariots en front, les suit avec ses cavaliers, et ordonne de charger. Les chars se font jour, et rompent le bataillon ; les cavaliers écrasent cent soldats : le reste se sauve vers Agésilas, qui se trouvait près de là avec ses hoplites.

Trois ou quatre jours après, Spithridate apprend que Pharnabaze est campé à Cavé, grand village distant de cent soixante stades environ. il en informe Hérippide, qui, jaloux de se signaler par un éclatant exploit, prie Agésilas de lui accorder deux mille hoplites, autant de peltastes, la cavalerie de Spithridate, celle des Paphlagoniens, et autant de cavaliers grecs qu’il pourrait en engager dans son parti. Dès qu’il eut tout obtenu, il sacrifia. Sur le soir, les présages furent heureux ; les sacrifices cessèrent. Il ordonna ensuite qu’on se rendît en avant du camp après le souper. La nuit venue, il ne s’en trouva pas la moitié au rendez-vous : mais dans la crainte que les Trente ne se moquassent de lui s’il abandonnait son projet, il marcha avec ce qu’il avait de troupes.

Au point du jour, il assaillit le camp de Pharnabaze. La plupart des Mysiens qui composaient l’avant-garde furent taillés en pièces, les Perses mis en fuite et le camp pillé : on y trouva quantité de coupes et autres effets de Pharnabaze, un bagage considérable et des bêtes de somme pour le porter. En effet, dans la crainte continuelle d’être surpris s’il séjournait trop longtemps dans le même lieu, il passait, à la manière des nomades, d’un pays dans un autre, rendant son camp le moins visible qu’il pouvait.

Comme les Paphlagoniens et Spithridate emportaient leur part du butin, Hérippide, secondé