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Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/378

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harcèleraient les Thébains, ou du côté de la Phocide, s’ils le voulaient, ou du côté de la Creuse. La proposition discutée, on équipe soixante galères sous le commandement de Pollis. Ce que les auteurs de la proposition avaient prévu arriva : Athènes fut bloquée ; car les vaisseaux qui portaient les vivres, parvenus à Géreste, ne pouvaient plus doubler le cap à cause de la flotte de Sparte, qui se tenait à Égine, à Andros et à Céos. Les Athéniens, voyant leur détresse, mirent eux-mêmes à la voile sous la conduite de Chabrias, qui livra bataille à Pollis et le défit. Ainsi revint l’abondance dans Athènes.

Comme les Lacédémoniens se disposaient à passer en Bœotie, les Thébains prièrent ceux d’Athènes de courir les côtes du Péloponnèse, persuadés qu’en prenant ce parti il serait impossible aux Lacédémoniens de défendre en même temps leur territoire, celui de leurs alliés du Péloponnèse, et de faire passer en Bœotie des forces redoutables.

Les Athéniens, irrités de l’entreprise de Sphodrias, envoyèrent promptement soixante voiles sur les côtes du Péloponnèse ; le commandement en fut déféré à Timothée. Le territoire de Thèbes n’ayant essuyé aucune irruption, ni pendant l’expédition de Cléombrote, ni durant le trajet de Timothée, les Thébains assaillirent vivement plusieurs places voisines qu’ils reprirent. Timothée, de son côté, n’eut qu’à se montrer, et aussitôt il prit Corcyre, sans asservir ni bannir personne, sans rien changer à sa constitution : ce qui lui mérita l’affection des villes maritimes de ce pays-là.

Cependant les Lacédémoniens équipèrent une nouvelle flotte sous le commandement de Nicoloque, homme audacieux, qui n’eut pas plutôt vu l’ennemi que, sans attendre les six vaisseaux d’Ambracie, il livra bataille à Timothée avec cinquante-cinq vaisseaux : celui-ci en avait soixante. La victoire se déclara pour Timothée, qui dressa un trophée à Élyze, où il mit sa flotte à sec pour la radouber. Nicoloque, renforcé des six galères, y fit voile, et voyant que l’ennemi ne sortait pas du port, dressa aussi un trophée dans les lies voisines. Enfin Timothée, ayant augmenté sa flotte de celle de Corcyre, eut plus de soixante-dix voiles : il reprit l’empire de la mer ; mais comme cet armement exigeait de fortes dépenses, il pria les Athéniens de venir à son secours.


LIVRE VI.


CHAPITRE PREMIER.


Tandis que ces choses se passaient entre Athènes et Lacédémone, les Thébains, après avoir assujetti la Bœotie, marchaient contre la Phocide. Les Phocéens députèrent donc à Sparte, pour déclarer que, faute de secours, ils se verraient forcés de composer avec les Thébains : on leur envoya, par mer, le roi Cléombrote, avec quatre mores et le contingent des alliés.

A peu près dans le même temps, vint aussi de Thessalie à Sparte Polydamas de Pharsale. Estimé dans toute la Thessalie, il jouissait encore, dans sa république, d’une telle réputation d’honneur et de vertu, que les Pharsaliens, déchirés par des factions, lui avaient confié et la garde de leur forteresse et la perception des revenus publics, pour qu’il les employât, selon les lois, aux frais des sacrifices et aux autres besoins de l’état : aussi, de ces deniers Polydamas entretenait la garnison du château et pourvoyait aux autres dépenses, dont il rendait compte tous les ans. Les fonds publics venaient-ils à manquer, il prenait sur les siens, dont il se remboursait quand les recettes devenaient surabondantes. Au reste, il était, selon la coutume des Thessaliens, magnifique et hospitalier. Voici la harangue qu’il prononça dans le conseil de Lacédémone :

« Lacédémoniens, j’appartiens à une famille, de temps immémorial, amie de votre république, et qui vous a rendu d’importans services ; je puis donc recourir à vous dans des circonstances difficiles, et vous avertir des orages qui, de la Thessalie, menaceraient Lacédémone. Jason est assez puissant et célèbre pour que son nom ait frappé vos oreilles. Après avoir conclu une trêve avec moi, il est venu me trouver.

« Polydamas, m’a-t-il dit, je puis conquérir Pharsale ; juges-en par toi même. Les grandes villes de la Thessalie sont mes alliées ; je me les suis soumises lorsque tu me faisais la guerre de concert avec elles. J’ai, comme tu sais, environ six mille hommes de troupes soldées, supérieurs,