Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/38

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nous n’avons à combattre que nos voisins du Péloponnèse, les forces sont égales, et nous sommes bientôt sur les terres ennemies. Mais des hommes dont le territoire est éloigné, qui d’ailleurs ont la plus grande expérience de la mer, qui sont bien munis de tout, plus riches qu’aucun autre peuple de la Grèce par le trésor public et l’opulence des particuliers, bien fournis de vaisseaux, de chevaux, d’armes et d’hommes, et qui ont encore une autre ressource, les tributs de leurs nombreux alliés, faut-il donc légèrement entreprendre contre eux la guerre ! Et qui nous inspire la confiance de nous hâter, sans avoir pourvu même aux préparatifs ? Sera-ce nos vaisseaux ? Mais nous sommes les plus faibles. Si nous voulons nous exercer et construire des flottes capables de balancer les flottes ennemies, il faut du temps. Ce sont peut-être nos richesses ? et c’est en quoi nous leur cédons encore bien davantage : nous n’avons pas un trésor public ; nous n’avons pas une ressource toute prête dans les fortunes privées.

LXXXI. « On croira peut-être que notre audace est bien fondée parce que, supérieurs par la discipline et le nombre de troupes régulières, nous irons dévaster leur pays. Mais ils ont encore bien d’autres pays dont ils sont maîtres, et ils tireront par mer tout ce dont ils ont besoin. Tenterons-nous de faire soulever contre eux leurs alliés ? Il faudra des vaisseaux pour les soutenir, puisque ce sont presque tous des insulaires. Dans quelle guerre allons-nous donc nous plonger ! car, si nous n’avons une marine supérieure, ou si nous ne leur coupons les revenus qui servent à l’entretien de leurs flottes, ce sera nous qui souffrirons le plus. Alors nous ne pourrons faire une paix honorable, surtout si nous paraissons commencer nous-mêmes les hostilités. Et ne nous livrons pas à l’espérance de voir bientôt cesser la guerre, si nous ravageons leurs campagnes. Je crains plutôt que nous ne la laissions en héritage à nos enfans : oui, les Athéniens auront trop d’orgueil pour se rendre esclaves de leur territoire, et ils ne seront point consternés de la guerre, comme s’ils n’en avaient pas d’expérience.

LXXXII. « Je ne veux pas cependant que, nous montrant insensibles, nous laissions maltraiter nos alliés, ni que nous fermions les yeux sur les manœuvres des Athéniens ; mais j’entends que nous ne fassions pas de mouvemens hostiles, et que nous leur envoyions porter nos plaintes, sans manifester ni l’envie de prendre les armes, ni celle de céder à leurs prétentions. En même temps, mettons-nous dans un état respectable ; engageons dans notre cause nos alliés ou Grecs ou Barbares ; cherchons à nous procurer, de quelque part que ce soit, des secours en argent ou en vaisseaux. Menacés, comme nous le sommes, par les Athéniens, on ne peut nous blâmer d’avoir recours, pour nous sauver, non-seulement aux Grecs, mais encore aux Barbares. Rassemblons nos propres ressources. S’ils écoutent nos réclamations, tant mieux : sinon, mieux disposés après deux ou trois ans, marchons contre eux si nous le jugeons nécessaire. Peut-être alors, quand ils verront notre appareil de guerre, quand nos discours répondront à ce qu’il aura de menaçant, cèderont-ils d’autant mieux que leur territoire ne sera point encore entamé, et qu’ils auront à délibérer sur leur fortune encore entière et non pas ruinée. Ne considérez, en effet, leur pays que comme un gage d’autant plus sûr qu’il sera mieux cultivé. Il faut l’épargner le plus long-temps qu’il est possible, et ne pas les rendre plus difficiles à vaincre en les réduisant au désespoir. Mais si, sans être préparés, et sur les plaintes de nos alliés nous nous hâtons de ravager leurs terres, craignons de causer la honte et le dommage du Péloponnèse. On peut apaiser les plaintes des villes et des particuliers ; mais quand, pour les intérêts des particuliers, tous ensemble se seront engagés dans une guerre dont on ne saurait prévoir l’issue ni la durée, il ne sera pas facile de déposer les armes avec dignité.

LXXXIII. « Et que personne ne regarde comme une lâcheté qu’un grand nombre de villes ne se hâtent pas de marcher contre une seule ! Toute seule qu’elle est, elle n’a pas moins que nous d’alliés qui lui apportent leurs tributs. Ce n’est pas plus avec des armes qu’avec de l’argent que se fait la guerre, et c’est l’argent qui seconde le succès des armes surtout quand ce sont des peuples du continent qui font la guerre à des peuples maritimes. Commençons donc par nous en procurer, et ne nous laissons pas d’abord entraîner par les discours de nos alliés. C’est nous, quel que soit le succès, qui