Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tu serais inexcusable d’exposer une patrie qui t’honore et te comble de biens. Vous connaissez à présent le sujet de mon voyage ; je vous dis, Lacédémoniens, ce que j’ai vu moi-même, ce que j’ai entendu dire à Jason ; et voici mon sentiment. Si vous envoyez des troupes que les Thessaliens et moi nous jugions en état de tenir tête à notre adversaire, il se verra abandonné de toutes les villes qui redoutent sa grandeur et sa puissance : mais si vous pensez que des néodamodes sous un chef ordinaire suffiraient, je vous conseille de vous tenir en repos. En effet, vous aurez à combattre et des troupes redoutables, et un général qui ne manque ni d’adresse pour tromper son ennemi, ni d’activité pour le prévenir, ni de courage pour le forcer ; un général qui sait user de la nuit comme du jour ; qui, lorsque le temps presse, fait céder au travail le besoin de manger ; qui, enfin, ne prend de repos que lorsqu’il est arrivé à son but et qu’il a terminé ses travaux.

Il inspire à ses soldats les mêmes sentimens : se signalent-ils par une belle action qui leur a bien coûté, il comble leurs vœux ; et ils apprennent à son école que le plaisir est enfant du travail. Quant à lui, il est le plus sobre et le plus tempérant des hommes ; jamais la volupté ne l’arrêta dans sa marche. Délibérez donc, et dites-moi avec cette loyauté qui vous convient, ce que vous pouvez et voulez m’accorder. »

Ainsi parla Polydamas. Les Lacédémoniens différèrent leur réponse. Après avoir calculé, le lendemain et le surlendemain, ce qu’ils avaient de bataillons au dehors, ce qu’ils opposaient de troupes aux trirèmes athéniennes qui infestaient les côtes de Lacédémone, celles enfin qui faisaient la guerre à leurs voisins, ils répondirent que pour le présent ils ne pouvaient lui fournir des secours suffisans, qu’il se retirât chez lui et pourvût le mieux possible à ses intéréts et à ceux de son pays.

Polydamas, après avoir loué leur franchise, s’en revint, pria Jason de ne pas le contraindre à la reddition d’une citadelle qu’il désirait conserver à ceux qui la lui avaient confiée, et lui livra ses enfans en otage, avec promesse d’amener ses concitoyens à une sincère alliance et de le faire proclamer chef de la Thessalie. On se donna parole : la paix fut accordée aux Pharsaliens ; et sans réclamation, Jason fut proclamé chef de la Thessalie. Il commande aussitôt à chaque ville de fournir son contingent de cavaliers et d’hoplites ; et bientôt il se vit plus de huit mille chevaux, tant de Thessaliens que d’alliés ; les hoplites ne montaient pas à moins de vingt mille. Quant aux peltastes, il pouvait en opposer à tous ses ennemis. Ce serait une longue entreprise de faire le dénombrement des villes thessaliennes. Il ordonna aussi à tous ses voisins de payer le tribut qui se levait sur eux du temps de Scopas. Voilà ce qui se passait dans la Thessalie. Revenons au récit que j’avais interrompu pour parler de Jason.


CHAPITRE II.


Les Lacédémoniens et leurs alliés s’étant assemblés dans la Phocide, les Thébains se retirèrent dans leur pays, dont ils gardèrent les avenues. Les Athéniens, voyant que tout ce qu’ils faisaient ne servait qu’à l’agrandissement de Thèbes, qui ne contribuait pas à la dépense de l’armement, tandis qu’ils se ruinaient par d’énormes contributions, par les excursions d’Égine, par l’entretien des garnisons, voulurent mettre fin à cette guerre. Ils envoyèrent donc à Sparte des ambassadeurs qui conclurent la paix.

Deux de ces ambassadeurs, d’après un décret du conseil, mirent aussitôt à la voile, pour signifier à Timothée qu’il ramenât sa flotte, puisque la paix était conclue ; mais en passant, il rétablit les bannis de Zacynthe dans leur île. Ceux de Zacynthe irrités, envoyèrent à Lacédémone pour se plaindre de Timothée. Les Lacédémoniens, se croyant lésés, équipèrent une flotte composée d’environ soixante galères. que fournirent Lacédémone, Corinthe, Leucade, Ambracie, l’Élide, Zacynthe, l’Achaïe, Épidaure, Trézène, Hermione et l’Halie. Mnasippe, chargé du commandement, reçut ordre d’attaquer Corcyre ; c’était le principal objet de sa mission sur ces parages. Ils dépéchèrent pareillement en Sicile, pour représenter à Denys qu’il lui importait aussi que Corcyre ne fût pas sous la domination athénienne.

La flotte étant rassemblée, Mnasippe mit à la voile : il avait, sans les troupes qu’il amenait de Sparte, quinze cents hommes soudoyés. Dès qu’il ont pris terre, il se rendit maître de l’île,