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crate aussi ramena les Athéniens, de l’Arcadie à Corinthe.

Je ne blâmerai pas toutes les actions d’Iphicrate ; mais je trouve ou téméraire ou inutile ce qu’il fit dans cette expédition ; car s’étant campé à Onée pour empêcher la retraite des Bœotiens, il laissa libre le passage de Cenchrée, qui était plus facile ; et pour savoir si les Thébains avaient franchi Onée, il envoya toute la cavalerie de Corinthe et d’Athènes à la découverte, quoique peu voient aussi bien que beaucoup d’hommes, et qu’il soit plus facile à un petit nombre qu’à un grand, de trouver un chemin commode et de se retirer en bon ordre. D’ailleurs, envoyer un grand nombre lorsqu’il est trop faible contre l’ennemi, n’est-ce pas une insigne folie ? Et en effet, lorsque ces cavaliers d’Iphicrate, qui à cause de leur multitude occupaient un grand espace, étaient forcés de reculer, ils ne rencontraient que des lieux difficiles ; en sorte qu’il ne périt pas moins de vingt cavaliers. Les Thébains exécutèrent donc leur retraite sans danger.


LIVRE VII.


CHAPITRE PREMIER.


L’année suivante, les Lacédémoniens et leurs alliés envoyérent à Athènes des ambassadeurs avec plein pouvoir, pour délibérer sur les moyens d’établir alliance entre Lacédémone et Athènes. Beaucoup d’étrangers et d’Athéniens disaient qu’il fallait une parfaite égalité de droits. Proclès le Phliasien prononça ce discours :

« Athéniens, puisque vous étes décidés à contracter alliance avec Lacédémone, il me semble qu’on doit prendre des mesures pour que cette alliance obtienne la plus grande durée possible : or le moyen efficace, c’est de la contracter de la manière la plus utile pour les deux peuples ; les autres articles sont à peu près convenus : on n’est plus embarrassé que pour le commandement. Le sénat, par un décret préparatoire, a prononcé qu’on vous donnerait à vous celui de la flotte, aux Lacédémoniens celui des troupes de terre. Je crois que les dieux et la fortune, plutot que les hommes, vous ont départi chacun votre lot.

« Et d’abord, vous, Athéniens, vous avez la position la plus favorable pour l’empire de la mer ; la plupart des républiques qui ne peuvent se passer de cet élément, avoisinent la vôtre et vous sont inférieures en puissance. Ensuite munie d’excellens ports, sans lesquels il est impossible de se procurer des forces navales, Athènes a beaucoup de trirémes dont elle augmente le nombre de jour en jour, fidèle sur ce point à un ancien usage.

« Outre que vous réunissez dans votre cité tous les arts nécessaires à la navigation, vous surpassez de beaucoup les autres peuples pour la manœuvre des vaisseaux. Grâces à votre commerce sur un élément dont vous tirez presque toute votre subsistance, vous acquérez de l’expérience dans les combats maritimes, en même temps que vos affaires personnelles vous occupent. Ajoutons à cela qu’il n’est jamais sorti tant de trirémes à la fois que de vos ports, ce qui ne contribue pas peu à l’empire des mers ; car on aime à se rassembler sous les étendards du plus puissant. Enfin, les dieux vous ont donné de prospérer dans la partie qu’ils vous assignent. Vous avez livré de grandes et nombreuses batailles ; le succès a presque toujours couronné vos efforts ; il est donc naturel que les alliés partagent volontiers ce genre de péril.

« Voici de nouvelles preuves que l’empire maritime vous appartient nécessairement. Les Lacédémoniens vous ont fait la guerre pendant plusieurs années : maîtres de votre territoire, ils ne pouvaient encore vous réduire ; mais dès que Dieu leur eut accordé des victoires sur mer, vous leur fûtes entièrement assujettis ; votre salut dépend donc entièrement de votre marine. Dans cet état de choses, vous conviendrait-il d’abandonner le commandement de la flotte aux Lacédémoniens, qui se reconnaissent moins versés que vous dans les combats maritimes, et qui d’ailleurs ne courent pas les mêmes risques ? En perdant une bataille, ils ne perdent que des hommes, au lieu que les Athéniens combattent pour leurs femmes, pour leurs enfans, pour toute la patrie.

« Aux avantages d’Athènes sur l’un des deux élémens, opposons ceux de Lacédémone sur l’autre. Habitant au milieu des terres, quand même elle n’aurait pas la navigation libre, elle serait toujours dans un état de prospérité,