Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/40

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acclamation, et non avec des cailloux[1] : il déclara qu’il ne savait pas de quel côté était la majorité ; et comme il voulait que les opinans se déclarassent surtout pour la guerre, et fissent connaître manifestement leur vœu : « Que ceux, dit-il, qui pensent que le traité est rompu, et que les Athéniens nous ont outragés, passent de ce côté (en le montrant), et que ceux qui sont d’un avis contraire, passent de cet autre. » Alors les Lacédémoniens quittèrent leurs places et se partagèrent. Ceux qui pensaient que la trêve était rompue furent en bien plus grand nombre. On rappela les députés, et les Lacédémoniens leur déclarèrent que, suivant eux, les Athéniens étaient coupables, mais qu’ils voulaient inviter tous les alliés à donner leurs suffrages, afin de n’entreprendre la guerre que d’après une délibération générale. Cette affaire terminée, les députés se retirèrent chez eux ; ceux d’Athènes partirent les derniers, après avoir terminé la négociation qui avait été l’objet de leur voyage. Cette décision de l’assemblée fut portée la treizième année de la trêve de trente ans, qui avait été conclue après l’affaire d’Eubée[2].

LXXXVIII. Les Lacédémoniens portèrent ce décret bien moins à la persuasion des alliés, que par les craintes que leur inspiraient les Athéniens. Ils les voyaient maîtres de la plus grande partie de la Grèce, et ils craignaient qu’ils ne devinssent encore plus puissans.

LXXXIX. Voici comment les Athéniens s’étaient mis à la tête des affaires, ce qui fut la cause de leur accroissement. Quand les Mèdes se furent retirés de l’Europe, vaincus par les Grecs sur terre et sur mer ; quand ceux d’entre eux qui purent échapper sur leurs vaisseaux, et qui cherchèrent un asile à Mycale, eurent été détruits ; Léotychidas, roi de Lacédémone, qui avait commandé les Grecs à Mycale, retourna dans sa patrie, et emmena les alliés du Péloponnèse. Les Athéniens restèrent avec les Grecs de l’Ionie et de l’Hellespont, qui déjà s’étaient détachés du roi, et ils firent le siège de Sestos que les Mèdes occupaient. Ils continuèrent ce siège pendant l’hiver, et après s’être rendus maîtres de la place, qu’abandonnèrent les Barbares, ils quittèrent l’Hellespont, et chacun rentra dans son pays. Les Athéniens, après la retraite des ennemis, firent revenir leurs enfans, leurs femmes et les effets des endroits où ils les avaient déposés, et pensèrent à relever leur ville et leurs murailles. Il ne restait que peu de chose de l’ancienne enceinte des murs, la plupart des maisons étaient tombées ; il n’en subsistait qu’un petit nombre où avaient logé les plus considérables des Perses.

XC. Les Lacédémoniens, informés de ce dessein, vinrent en députation à Athènes ; eux-mêmes auraient bien voulu que cette ville, ni aucune autre n’eût été fortifiée ; mais surtout ils étaient sollicités par leurs alliés qui craignaient la puissante marine des Athéniens, bien différente de ce qu’elle avait été autrefois, et l’audace que ce peuple avait montrée dans la guerre contre les Mèdes. Les députés prièrent les Athéniens de ne pas se fortifier, et de détruire plutôt avec eux toutes les fortifications qui se trouvaient hors du Péloponnèse. Ils ne leur faisaient connaître leur objet ni leurs défiances, et donnaient pour prétexte de leur demande, que, si les Barbares revenaient dans la Grèce, il ne fallait pas leur laisser une place forte dont ils pussent se servir comme d’un point de départ, ainsi qu’ils venaient de faire de Thèbes. Ils ajoutaient que le Péloponnèse suffisait pour offrir à tous les Grecs une retraite d’où ils s’élanceraient contre les ennemis.

Les Athéniens, sur l’avis de Thémistocle, se hâtèrent de congédier les députés, et répondirent seulement qu’ils allaient, de leur côté, faire partir pour Lacédémone une députation chargée de traiter cette affaire. Thémistocle voulut être expédié lui-même sans délai, et ordonna de ne pas faire partir sur-le-champ ceux qu’on lui choisirait pour collègues, mais de les retenir jusqu’à ce que le mur fût assez élevé pour être

  1. À Athènes, les suffrages se donnaient avec des cailloux que chacun des votans, suivant qu’il adoptait ou rejetait la question, jetait dans une urne d’airain ou dans une urne de bois. De là, le mot psephos, qui, en grec, signifie caillou, signifiait aussi suffrage et décret. Il y avait des occasions où l’on donnait son suffrage en levant la main. C’était la manière dont on le donnait dans les élections, et le mot qui signifiait étendre la main, signifiait aussi élire : χειροτονία.
  2. La trêve de trente ans fut conclue la quatrième année de la quatre-vingt-treizième olympiade, quatre cent quarante-cinq ans avant notre ère (Dodwell). Le décret de l’assemblée de Lacédémone, contre les Athéniens, est de la première année de la quatre-vingt-septième olympiade quatre cent trente-deux ans avant l’ère vulgaire.