Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/403

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un homme qui vous a trahis était-il plus mon ennemi que le votre ? Il est venu ici, dira quelqu’un, sur la foi publique. Comment, si on l’eût tué hors de votre ville on mériterait des louanges, et parce qu’à ses anciens crimes il venait en ajouter de nouveaux ou prétendra qu’il n’a pas été tué justement ! Mais est-il chez les Grecs des traités qui favorisent les traîtres, les tyrans, les déserteurs ? Avez-vous donc oublié le décret qui porte qu’on pourra saisir les bannis dans toutes les villes alliées ? Or, celui qui, étant banni, est revenu sans un décret de la confédération, peut-on le dire injustement tué ? Oui, Thébains, si vous me faites mourir, vous vengerez la mort de votre plus grand ennemi ; si vous me renvoyez absous, vous vengerez vos propres injures et celles de tous vos alliés. »

Les Thébains, d’après ce discours, prononcèrent qu’Euphron avait subi un juste châtiment ; mais ses concitoyens le jugeant homme de bien, remportèrent son corps et lui donnérent sépulture dans la place publique : ils le révèrent comme le protecteur de leur ville. C’est ainsi que, pour l’ordinaire, nous estimons gens de bien ceux qui ont droit à notre reconnaissance. Voilà l’histoire d’Euphron ; je reviens à mon sujet.


CHAPITRE IV.


Les Phliasiens circonvallaient encore Thyamie en présence de Charès, lorsque les bannis de Sicyone s’emparèrent d’Orope. Les Athéniens ayant conduit toutes leurs troupes au secours d’Orope, et rappelé Charès, les Sicyoniens reprirent leur port avec l’aide des Arcadiens. Quant aux Athéniens, se voyant abandonnés de tous leurs alliés, ils se retirèrent et confièrent Orope à la foi des Thébains, jusqu’à ce qu’on eût prononcé sur le différend.

Lycomède, observant qu’Athénes se plaignait des charges qu’elle supportait pour la cause des alliés, sans être payée d’un juste retour, détermina les dix mille députés à faire alliance avec cette république. D’abord quelques Athéniens témoignaient de la répugnance, étant amis de Lacédémone, à s’allier avec ses adversaires ; mais après avoir bien réfléchi, ils trouvèrent qu’il n’importait pas moins aux Lacédémoniens qu’à eux-mêmes, que les Arcadiens sussent se passer des Thébains, et finirent par accepter cette alliance. Lycomède, qui l’avait négociée, se retirant d’Athénes, mourut par un étrange accident. En effet, après avoir choisi entre beaucoup de vaisseaux, après être convenu avec le pilote de le transporter où il voudrait, il s’était décidé pour le lieu où s’étaient retirés les bannis : sa mort n’empêcha pas l’entière exécution du traité.

Démotion déclara dans l’assemblée du peuple d’Athènes, que l’on faisait sagement de lier amitié avec les Arcadiens ; mais il ajouta qu’il fallait s’efforcer de retenir Corinthe dans la dépendance athénienne. À cette nouvelle, les Corinthiens envoyérent des troupes en diligence dans celles de leurs villes où les Athéniens avaient garnison, et leur signifièrent de se retirer ; leur protection devenait inutile. Ils obéirent. Lorsque ces troupes furent de retour dans la ville, les Corinthiens publièrent que les Athéniens qui auraient à se plaindre se présentassent ; on leur rendrait justice.

Les choses en étaient la, lorsque Charès aborda à Cenchrée avec la flotte. Informé de ce qui s’était passé, sur la nouvelle de quelque entreprise, il venait, disait-il, offrir ses services. On le remercia ; mais loin de recevoir ses galères dans le port, il fut invité à s’éloigner. Quant aux hoplites, on les congédia, après les avoir satisfaits. Ce fut ainsi que les Athéniens partirent de Corinthe. Ils étaient obligés, à cause de leur alliance, d’envoyer des secours de cavalerie aux Arcadiens s’il leur survenait une guerre ; mais ils ne se permettaient en Laconie aucun acte d’hostilité.

Les Corinthiens, de leur côté, considérant que vaincus précédemment par terre, en butte à de nouveaux ennemis, ils couraient les plus grands dangers, résolurent une levée d’infanterie et de cavalerie soudoyées, autant pour la garde de la ville que pour incommoder l’ennemi. En même temps ils envoyèrent à Thèbes, pour savoir s’ils seraient admis à demander la paix. Après avoir obtenu une réponse favorable, ils sollicitèrent la permission d’en conférer avec les alliés ; ils feraient la paix avec ceux qui la voudraient, et laisseraient combattre ceux qui préféreraient la guerre. Les Thébains ayant encore accordé cette demande, les Corinthiens vinrent à Lacédémone, et prononcèrent ce discours :