Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/48

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autres généraux, ils livrèrent, près de l’île de Tragie, le combat à soixante-dix vaisseaux samiens, dont vingt étaient montés d’hommes de guerre : tous venaient de Milet. Les Athéniens remportèrent la victoire ; ils furent ensuite renforcés par quarante vaisseaux d’Athènes et vingt-cinq de Chios et de Lesbos. Ils descendirent à terre, furent vainqueurs, élevèrent des murailles de trois côtés de la place pour l’investir, et en firent en même temps le siège par mer. Périclès prit soixante des vaisseaux qui étaient à l’ancre, et se porta avec la plus grande diligence à Caune en Carie, sur l’avis que des vaisseaux phéniciens s’avançaient ; car dès auparavant, Stésagoras et quelques autres étaient partis de Samos avec cinq vaisseaux pour observer les Phéniciens.

CXVII. Les Samiens profitèrent de la circonstance pour sortir du port à l’improviste ; ils tombèrent sur le camp qui n’était pas fortifié, détruisirent les vaisseaux qui faisaient l’avant-garde, battirent ceux qui se présentèrent à leur rencontre, et furent quatorze jours maîtres de la mer qui baigne leurs côtes. Pendant tout ce temps, ils faisaient entrer dans leur ville et en faisaient sortir tout ce qu’ils voulaient ; mais au retour de Périclès, ils se virent de nouveau renfermés par la flotte.

Quarante vaisseaux vinrent ensuite d’Athènes au secours des assiégeans avec Thucydide[1], Agnon et Phormion ; vingt avec Triptolème et Anticlès, et trente de Chios et de Lesbos. Les Samiens livrèrent un faible combat naval, et ne pouvant plus tenir, ils furent obligés de se rendre après neuf mois de siège. Ils s’engagèrent par la capitulation à raser leurs murailles, à donner des otages, à livrer leurs vaisseaux et à rembourser les frais de la guerre par des paiemens a époques fixées. Ceux de Bysance convinrent de rester, comme auparavant, dans l’état de sujets.

CXVIII. Peu d’années après, survinrent les événemens dont j’ai déjà parlé ; l’affaire de Corcyre, celle de Potidée et tout ce qui, sur ces entrefaites, servit de prétexte à la guerre que je vais écrire. Toutes ces entreprises des Grecs ou les uns contre les autres, ou contre les Barbares, occupèrent à peu près une période de cinquante ans, depuis la retraite de Xerxès jusqu’au commencement de cette guerre-ci. Dans cet intervalle de temps, les Athéniens donnèrent une grande force à leur domination et s’élevèrent à un haut degré de puissance. Les Lacédémoniens le virent et ne s’y opposèrent pas, si ce n’est dans quelques circonstances de peu de durée ; mais en général, ils restaient inactifs. Toujours lents à s’engager dans les guerres, à moins qu’ils n’y fussent contraints, ils avaient été occupés par des hostilités particulières. Enfin ils n’ouvrirent les yeux sur la puissance des Athéniens que lorsqu’il n’était plus possible de se dissimuler leur élévation et quand ils avaient déjà touché aux alliés de Sparte. Ils crurent alors qu’il n’était plus temps de dissimuler, qu’il fallait les combattre avec la plus grande vigueur et anéantir, s’il était possible, leur domination, ils déclarèrent donc que la trêve était rompue et que les Athéniens s’étaient rendus coupables d’injustice. Ils envoyèrent à Delphes demander au dieu s’ils auraient l’avantage dans la guerre qu’ils méditaient d’entreprendre. On prétend que le dieu répondit qu’en combattant de toutes leurs forces ils auraient la victoire, et qu’il leur prêterait ses secours s’ils l’invoquaient et même s’ils ne l’invoquaient pas.

CXIX. Ils assemblèrent une seconde fois les alliés pour mettre aux voix s’il fallait entreprendre la guerre. Les députés des villes confédérées arrivèrent, l’assemblée se forma et chacun parla suivant son opinion, mais le plus grand nombre accusa les Athéniens et se déclara pour la guerre. Les Corinthiens avaient prié les députés de chaque ville en particulier d’énoncer ce vœu, craignant, si l’on différait, que Potidée ne fût enlevée. Ils étaient présens, et s’avançant les derniers, ils s’exprimèrent à peu près en ces termes :

CXX. « Non, sans doute, généreux alliés, nous ne reprocherons plus aux Lacédémoniens de n’avoir pas eux-mêmes décrété la guerre, puisque c’est pour cet objet qu’ils viennent de nous rassembler. Ils ont rempli ce que nous avions droit d’attendre : car il faut que ceux qui jouissent du commandement, contens de l’égalité dans leurs intérêts particuliers, soient les pre-

  1. Ce Thucydide n’était pas de la famille de notre historien. Il était beau-frère de Cimon, et se rendit célèbre par son opposition à Périclès. C’est lui qui, en parlant de l’éloquence adroite et persuasive de ce grand homme, disait : « Quand je l’ai renversé, il nie qu’il soit à terre, et il le persuade. »