Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/52

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offense qu’arriva le grand tremblement de terre à Sparte. Les Athéniens demandaient aussi l’expiation du sacrilège commis contre la déesse au temple d’airain[1]. Voici quel fut ce sacrilège, lorsque les Lacédémoniens rappelèrent, pour la première fois, Pausanias du commandement qu’il exerçait dans l’Hellespont[2], il fut soumis à un jugement et renvoyé absous. Cependant on ne lui rendit pas le commandement ; mais il prit lui-même en son nom la trirème hermionide, et retourna dans l’Hellespont sans l’aveu des Lacédémoniens. Il donnait pour prétexte de son voyage la guerre de Grèce ; mais en effet il voulait continuer les intrigues qu’il avait liées avec le roi, dans le dessein de s’établir une domination sur les Grecs. Il avait commencé par rendre des services à ce prince, et il avait posé les bases de tous ses projets. Car dans sa première expédition, après son retour de Cypre, lorsqu’il eut pris Bysance, place occupée par les Mèdes, et où furent faits prisonniers plusieurs amis et parens du roi, il les renvoya à ce prince à l’insu des alliés, et publia qu’ils s’étaient échappés de ses mains. Il agissait de concert avec Gongyle, d’Érétrie, à qui il avait confié Bysance et la garde des prisonniers. Il fit même passer Gongyle auprès de Xerxès avec une lettre : voici ce qu’elle contenait, comme on l’a découvert dans la suite : « Pausanias, général de Sparte, a fait ces prisonniers et te les renvoie, pour faire quelque chose qui te soit agréable. J’ai intention, si tu y consens, d’épouser ta fille et de te soumettre Sparte et le reste de la Grèce. En me concertant avec toi, je me crois en état de mettre ce dessein à exécution. S’il t’est agréable, envoie-moi sur la côte un homme affidé par qui nous puissions continuer notre correspondance. »

CXXIX. Voilà ce qu’a fait connaître cet écrit. Il plut à Xerxès, qui envoya sur la côte Artabaze, fils de Pharnace, en lui ordonnant de se mettre en possession de la satrapie de Dascylitis, et de déposer Mégabatès qui en était revêtu. Il le chargea d’une lettre pour Pausanias à Bysance avec ordre de le mander au plus tôt, de lui montrer son cachet, et, s’il en recevait quelques ouvertures sur ses desseins, de faire avec la plus grande fidélité ce qu’il jugerait le plus a propos.

Artabaze étant arrivé exécuta les ordres qu’il avait reçus, et envoya la lettre. Voici ce qu’elle contenait : « Ainsi parle le roi Xerxès à Pausanias. Tu m’as renvoyé au-delà de la mer les hommes que tu as sauvés de Bysance : ma reconnaissance en restera pour toujours écrite dans mon palais, et je suis flatté de ce que tu m’as communiqué. Que le jour ni la nuit ne t’arrête et ne te puisse détourner de travailler à ce que tu me promets. Ne regarde comme un obstacle ni la dépense en or et en argent, ni le nombre des troupes, s’il faut en faire passer quelque part. Je t’adresse Artabaze, homme sûr et fidèle ; traite hardiment avec lui de tes affaires et des miennes, et conduis-les de la manière que tu jugeras la meilleure et la plus utile pour tous deux. »

CXXX. À la réception de cette lettre, Pausanias, qui s’était acquis la plus grande distinction dans la Grèce pour avoir commandé à la bataille de Platée, conçut encore bien plus d’orgueil. Il ne sut plus se conformer aux mœurs de sa nation, mais il sortit de Bysance vêtu de la robe des Perses, et dans son voyage en Thrace, une garde perse et égyptienne l’escortait armée de piques ; il faisait servir sa table avec la somptuosité des Perses. Incapable de renfermer ses desseins en lui-même, il manifestait dans de petites choses les grandes pensées qu’il comptait exécuter un jour. Il se rendit d’un accès difficile, et il était d’une humeur si hautaine avec tout le monde indifféremment, que personne ne pouvait l’aborder. Ce ne fut pas une des moindres raisons qui engagèrent les Grecs à passer de l’alliance de Lacédémone à celle d’Athènes.

CXXXI. Les Lacédémoniens, instruits de ces procédés, le rappelèrent pour lui en demander compte ; et lorsque, sans ordre de leur part, il eut osé remettre en mer sur la trirème hermionide, on ne douta plus de ses desseins. Forcé par les Athéniens de sortir de Bysance. Il ne

  1. Pallas. On la nommait Poliouchos, parce qu’elle était la divinité tutélaire de la république, et Chalciœcos, parce que son temple était d’airain, ou du moins revêtu de lames de ce métal. On prétend que cet ouvrage avait été commencé par Tyndare, et qu’il fut continué par son fils. Après leur mort, il resta long-temps abandonné. Les Lacédémoniens le reprirent, firent construire le temple en airain, et jeter en fonte, du même métal, la statue de la déesse. L’architecte, nommé Gitiadas, était en même temps poète lyrique, et fit un hymne en l’honneur de Pallas. (Pausanias, liv. III)
  2. Il faut rapprocher de ce récit le chapitre XCVIII.