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Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/67

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tout la jeunesse, voulaient sortir, et ne pas mépriser un tel outrage. Il se formait des groupes tumultuaires : on se disputait vivement ; les uns voulaient qu’on sortît ; d’autres, en petit nombre, s’y opposaient. Les devins chantaient des oracles de toute espèce, et chacun les écoutait suivant les passions dont il était agité. Les Acharniens, qui ne se croyaient pas une partie méprisable de la république, et dont on ravageait les terres, pressaient la sortie plus que personne. Il n’était sorte d’agitation que n’éprouvât la république, et Périclès était l’objet de tous les ressentimens. Les conseils qu’il avait donnés étaient inutiles ; on ne se rappelait plus rien, et on lui faisait un crime d’être général, et de ne pas mener les troupes au combat. C’était lui qu’on regardait comme la cause de tout ce qu’on avait à souffrir.

XXII. Persuadé qu’irrités, comme ils l’étaient, de leurs maux, on ne pouvait attendre d’eux aucune sage résolution, et que lui-même cependant avait raison de s’opposer à leur sortie, il ne convoqua pas d’assemblée, ni ne permit de rassemblemens. Il craignait que le peuple ne fit quelque faute en délibérant avec moins de jugement que de passion. Il tint les yeux ouverts sur la ville ; et, autant qu’il le put, il y maintint le repos. Mais chaque jour il faisait sortir de la cavalerie pour incommoder les coureurs qui s’écartaient du gros de l’armée, et tombaient sur les champs voisins d’Athènes. Il y eut à Phrygies un petit choc de cavalerie athénienne et thessalienne contre la cavalerie bœotienne. Les Athéniens et les Thessaliens se soutinrent sans désavantage jusqu’à ce qu’il survînt un secours d’hoplites bœotiens qui les obligea de se retirer avec peu de perte : ce qui ne les empêcha pas le jour même d’enlever leurs morts, sans être forcés d’en obtenir la permission. Cependant le lendemain les Péloponnésiens dressèrent un trophée.

La Thessalie donnait du secours à Athènes en conséquence de l’alliance qui régnait entre les deux peuples. Il vint des Thessaliens de Larisse, de Pharsale, de Paralus, de Cranon, de Pirasus, de Gyrlone et de Phères, Ils étaient commandés par Polyinède et Aristonoüs, tous deux de Larisse, mais de deux factions différentes[1], et par Ménon, de Pharsale. Il y avait encore d’autres commandans pour les troupes de chaque ville.

XXIII. Les Péloponnésiens voyant leurs ennemis obstinés à ne pas sortir au combat, s’éloignèrent d’Acharnes, et ravagèrent quelques autres dêmes entre les monts Parnès et Britesse. Ils étaient sur le territoire de l’Attique quand les Athéniens envoyèrent autour du Péloponnèse cent vaisseaux qu’ils avaient appareillés, et que montèrent mille hoplites de leur nation et quatre cents archers. Les commandans furent Carcinus, fils de Xénotime, Protéas, fils d’Épiclès, et Socrate, fils d’Antigone. Ce fut avec ces forces qu’ils mirent en mer, et remplirent leur commission. Les Péloponnésiens restèrent dans l’Attique tant qu’ils eurent des vivres, et retournèrent par la Bœotie, au lieu de suivre le chemin par lequel ils s’y étaient jetés. En passant devant Orope, ils dévastèrent le pays qu’on appelle la Piraïque, et qui appartient aux Oropiens, sujets d’Athènes. Arrivés ensuite dans le Péloponnèse, ils se séparèrent, et chacun gagna la ville à laquelle il appartenait.

XXIV. Après leur départ, tes Athéniens établirent des gardes sur terre et sur mer, et cette disposition devait durer tout le temps de la guerre. Ils décrétèrent que du trésor de l’Acropole il serait tiré mille talens[2], qu’on mettrait à part sans pouvoir les dépenser, et que le reste serait consacré aux frais de la guerre. La peine de mort fut prononcée contre celui qui oserait proposer de toucher à cette somme, a moins que ce ne fût pour repousser l’ennemi, s’il venait attaquer Athènes par mer. Outre ce dépôt de mille talens, ils mirent aussi à part chaque année cent trirèmes de la meilleure construction, auxquelles on nommait des commandans, et l’on ne pouvait disposer de cette flotte qu’en même temps que de la somme, pour repousser le même danger, si la nécessité l’exigeait.

XXV. Les Athéniens, qui étaient partis pour tourner le Péloponnèse avec les cent vaisseaux, les Corcyréens qui les accompagnaient avec cinquante en qualité d’auxiliaires, et d’autres alliés de ces contrées infestèrent dans leurs courses

  1. Larisse était alors partagée entre deux factions, dont l’une favorable à la démocratie et l’autre à l’oligarchie. (Scol.) On peut être étonné que la dernière ne se fût pas déclarée pour les Lacédémoniens qui partout se montraient les protecteurs de l’aristocratie et de l’oligarchie.
  2. Cinq millions quatre cent mille livres.