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Hellé

d’herbe sèche, tout près d’un champ ensemencé où tournoyaient des corbeaux rauques. Ma poitrine se gonflait doucement, fortement, par des aspirations régulières et puissantes, et cela me faisait mal comme une volupté. J’aurais voulu ouvrir les bras, étreindre la nature, toute la terre, tout le ciel dans un embrassement infini. Et suffoquant de désir inconnu, de regret, de mélancolie, je m’aperçus que je pleurais.

Mais ce n’était pas sur Maurice, perdu pour moi et volontairement perdu que coulaient ces pleurs nostalgiques. Je savais trop bien que je n’avais pas aimé, que j’avais chéri un mirage plus brillant, plus insaisissable que les mirages prismatiques de la lumière dans la vapeur. Je sentais que l’amour était une réalité autrement puissante et terrible. Hélas ! il avait passé près de moi, le grand amour. Ma jeunesse avait craint sa force austère ; elle avait poursuivi au loin son fantôme et son reflet. Maintenant il revenait en maître. Il frappait à mon cœur.

J’errai tout le jour, çà et là ; puis le soir, retirée dans ma chambre, j’ouvris ce livre du Pauvre, que j’avais apporté intact.

Les heures s’égrenèrent dans la nuit. Ma lampe baissa ; j’allumai une bougie. Un rai de lumière pâle apparut entre les volets. Je fermai le livre. Il faisait jour.



MA POITRINE SE GONFLAIT BRUSQUEMENT…

Clairmont m’avait menti, ou bien, complaisamment, il avait répété un mensonge. C’en était fini des incertitudes, des doutes, de cette tristesse jalouse qui me torturait depuis des semaines et que je n’osais m’avouer. J’avais, à travers son œuvre, interrogé la grande âme d’Antoine. Elle m’avait répondu. Ah ! comme je l’évoquais, comme je la sentais proche, dans les pages sublimes de ce