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Hellé

Nous demeurâmes ainsi un long moment, lui silencieux, moi gémissante, presque dans les bras l’un de l’autre. Soudain, je m’écartai, j’essuyai mes yeux.

— Puisqu’il le faut, je serai forte. Je veux que mon cher oncle finisse en paix, comme il a vécu… Moi seule…

Les larmes encore une fois m’étouffèrent.

— Je ne pleurerai pas devant lui… je vous obéirai… Mais, Antoine, quelle douleur !

Le jour s’écoula, puis la nuit. Si je n’avais pas cru aveuglément Genesvrier, j’aurais confondu dans mon inexpérience le répit annonciateur de la mort avec l’apaisement qui promet une proche convalescence. La fièvre avait brisé les ressorts de la vie : mon oncle mourait de faiblesse, calme, affranchi des souffrances, presque gai parfois ; et sans que ni Genesvrier ni moi eussions laissé percer notre inquiétude, il comprit que c’était la fin.

Toute la nuit je veillai, sortant quelquefois sur le palier, pour appuyer mon front aux murailles et sangloter à cœur perdu. Au matin, je n’avais plus de larmes. J’entrais peu à peu dans ce demi-songe qui succède aux crises extrêmes de l’angoisse, où la sensation de la réalité s’amortit, où le désespoir épuisé s’ennoblit de silence grave. J’étais debout au chevet de l’oncle Sylvain. Genesvrier se tenait de l’autre côté du lit, et le malade, abandonnant ses mains à l’étreinte des nôtres, parla tout à coup d’une voix distincte, avec un accent inexprimable

— Hellé, mon enfant bien-aimée, je vais mourir.



IL POSA SA MAIN SUR MES ÉPAULES…

Je bénis la nature de me laisser ferme et lucide pendant les derniers instants que je passerai près de toi… J’aurais beaucoup de choses à te dire : il faut les résumer en peu de mots. J’ai une prière à t’adresser, Hellé : reste fidèle à mon rêve ; réalise en toi la femme que j’ai tenté de former. Fuis le médiocre, ne déchois point, redoute la passion avec ses sophismes et ses mirages, et donne le trésor de ton âme à celui seul qui le méritera.

— Ah ! m’écriai-je en baisant son front déjà perlé de moiteur froide, qui me consolera de vous perdre, où retrouverai-je un maître tel que vous ?

— Un maître, Hellé ? Tu n’as plus besoin de maître. Il te faut un guide et un ami. Tu le trouveras, je le sais, et cette certitude m’est douce… Ne pleure pas, chère petite. Tu as été la couronne de ma vieillesse, ma joie, ma lumière, mon rêve vivant… Et je ne te laisse pas seule abandonnée…

Ses yeux désignèrent Genesvrier :

— Un ami… Antoine, je vous la