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Hellé

rien de déplaisant, et je m’en contenterais si vous y deviez faire des chefs-d’œuvre.

Il songea un instant.

— Vous êtes allée souvent chez Antoine Genesvrier ?

— Mais oui.

— Avant la mort de votre oncle ?

— Avant et après.

— Seule, alors ?

— Oui, seule. Quel mal y voyez-vous ?

— Aucun mal, répondit-il avec sincérité. Mais dites, Hellé, pourquoi Genesvrier ne vient-il plus ici depuis nos fiançailles ?

— Il craint d’être importun… Et puis il est très occupé. Il va organiser des conférences populaires.

— Pour répandre ses utopies ! Si ses conférences ressemblent à ses articles, elles auront un succès d’ennui.

— Vous êtes sévère !

— Oh ! je connais votre sympathie pour Genesvrier.

— Je ne la cache point.

— Quand nous serons mariés, Hellé, et que vous aurez vu le monde et acquis plus d’expérience, vous sentirez la vanité de ces beaux rêves et le ridicule de ces grands mots.

— Je ne crois pas.

— Est-ce que… mais vous ne me répondrez point franchement.

— Je ne mens jamais.

— Eh bien… est-ce que Genesvrier n’a pas été… n’est pas encore amoureux de vous ?

Je rougis.

— Ah ! vous êtes déconcertée, Hellé !

— Je ne vous comprends pas, répondis-je en relevant la tête. Je n’ai rien à me reprocher. Il est vrai que monsieur Genesvrier avait songé à moi… Oui, il m’avait exprimé ses sentiments de respectueuse tendresse. Mais je ne m’étais pas engagée à lui. Vous êtes entré dans ma vie… Antoine a compris que j’étais attirée vers vous, et il s’est retiré spontanément. Mon amitié pour lui demeure intacte. Comme vous êtes sombre, Maurice ! Il n’y a, dans cette confidence, rien qui puisse vous offenser.

— Elle vient trop tard.

— Maurice, dis-je avec douceur, la jalousie que vous laissez percer est tout à fait puérile, indigne de vous et de moi. Si je n’ai pas parlé plus tôt, c’est que cet aveu me paraissait inutile. Je croyais avoir votre confiance comme vous avez la mienne. Vous ai-je demandé compte de vos actions passées, de vos anciennes amours ? Il y a un nom de femme sur la première page de vos poèmes. Je ne vous en ai point parlé par un sentiment de délicatesse discrète.

— Ce n’est pas la même chose.

— C’est pire. Cette… Madeleine était votre maîtresse, tandis que Genesvrier n’était pour moi qu’un ami.

— Une maîtresse compte peu ou pas dans la vie d’un homme ; la moindre imprudence compromet une jeune fille. Vous receviez Genesvrier, vous alliez chez lui, seule.

— Maurice, vous saviez que j’étais libre et indifférente aux préjugés. Vous m’avez aimée et choisie en connaissance de cause. Si vous êtes à ce point respectueux des conventions, il fallait chercher une fiancée dans votre monde, une ingénue moderne, habile au flirt qui ne compromet point.

Il ne répondit pas. Babette entrait.

— Mademoiselle… Marie est là, avec son bébé. Pouvez-vous la recevoir ?

— Certainement.

Marie Lamirault, toute vêtue de noir, montra son fin visage qu’un sourire timide éclairait.

Elle portait le petit Pierre, brun comme elle, frais et fort.

J’embrassai l’enfant, que je n’avais pas vu depuis plusieurs semaines. Marie m’annonça qu’elle avait achevé les broderies que je lui avais commandées pour mon trousseau. J’ouvris le secrétaire et j’y pris quelques pièces d’or que je lui remis.

— Je prierai mademoiselle de penser à moi, reprit-elle après m’avoir remerciée. Mademoiselle devait parler à une dame… C’est que l’ouvrage ne va pas fort en ce moment.