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Hellé

Je hélai une voiture et me fis conduire chez moi.

Dès que j’eus changé de vêtements, sans réveiller Babette, je descendis au rez-de-chaussée et j’ouvris la porte de la bibliothèque, où je n’étais pas entrée depuis tant de jours. Une bouffée d’air froid me fit frissonner sous mon peignoir et agita la double flamme du candélabre que j’élevais au-dessus de ma tête en avançant.

Je posai le flambeau sur la table, et, debout, appuyée au fauteuil, je regardai les yeux vacillants de la lumière projeter jusqu’au plafond la silhouette bizarre des meubles, la forme exagérée du buste de Platon. Sur la haute cheminée, presque au niveau de mes cheveux, la Pallas d’Olympie continuait sa méditation. L’aspect de la pièce me parut nouveau, étrange, quasi surnaturel. Une moiteur légère perla sur mes tempes, à la racine de mes cheveux, mais je surmontai cette défaillance. Les mains jointes comme pour la prière, j’appelai de toutes les silencieuses voix de l’âme l’Ombre que j’étais venue invoquer.

« Si quelque chose de vous survit, ô mon cher oncle, si la pensée de votre enfant peut s’unir à votre pensée devenue, hors des liens du corps, votre réalité immortelle, n’est-ce pas entre ces murs, parmi ces choses vénérables où se complut votre prédilection ? Et si cette pensée même, comme meurt la flamme avec la lampe, fut dissoute dans la matière avec le corps qu’elle anima, ici je puis vous ressusciter par le miracle de la tendresse, dans la seconde vie du souvenir.



JE REGARDAI LES YEUX VACILLANTS DE LA LUMIÈRE…

» Voici l’heure décisive de mon existence, l’heure prévue et redoutée, lorsque, parmi les fleurs de la Châtaigneraie, vous m’enseignâtes le sens de ma vie et la loi du futur amour. Cette loi, je la pressentais à peine quand, devant la splendeur du soir sur les champs, devant l’éveil de l’aube sur la ville, je dédiai ma virginité au héros annoncé par vous.