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Hellé

XVIII


Dans la bibliothèque vaste et vide où j’évoquais mieux que partout ailleurs, la chère image du maître disparu, j’étais assise, en habits de deuil. Depuis le matin tombait la fine pluie d’automne sur les tours de Saint-Sulpice, sur les toits ruisselants, sur le jardin jaune et noyé. Mon âme sombrait dans la tristesse.

Le coude sur l’appui du fauteuil, ma main pressant ma tempe douloureuse que la migraine étreignait, je regardais crépiter et s’écrouler les braises du premier feu de novembre, et j’écoutais Genesvrier assis en face de moi.

— Vous me demandez pourquoi j’ai prolongé mon absence, disait-il. Vous m’adressez des reproches, Hellé. Savez-vous que votre petite colère me plaît mieux qu’un gracieux accueil ?

— Vous plaisantez, je crois, bien que ce ne soit point votre habitude. Que vous soyez resté à Bruxelles près de Jacques Laurent, très malade, qu’il ait insisté pour vous retenir, il n’y a là rien qui m’étonne… Mais pourquoi ne point m’écrire ? Votre indifférence m’a surprise péniblement.

— Mon indifférence ? Sérieusement, Hellé, pouvez-vous supposer que je sois devenu indifférent ?

— Mais oui, monsieur Genesvrier.

— Vous m’appelez « monsieur », maintenant ! Vous êtes tout à fait fâchée ?

— Expliquez-vous, défendez-vous.

À grands pas, de long en large, il marchait, les mains croisées derrière le dos.

— J’ai un secret, Hellé.

— Un secret que vous ne pouvez me confier, à moi, votre sœur d’élection ?



— QUEL HOMME ÉTRANGE VOUS ÊTES…

— Un secret que vous allez connaître. Je n’ai pas voulu vous écrire, là-bas, parce que je devais me recueillir, m’interroger, me juger, avant de faire une démarche si grave qu’elle peut troubler toute ma vie. La solitude où je vivais, près de mon vieil ami, était plus favorable à cet examen de conscience, à cette épreuve de mes forces que mon ermitage de Paris. J’aime à savoir où je vais ; je ne