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Hellé

marierez sans fracas dans l’intimité. Rien qu’un dîner chez moi, le soir du contrat, et un lunch après la cérémonie. Nous n’aurons que des amis, une centaine de personnes.

— Dans l’intimité !

— Eh ! mon enfant, tout est relatif. Ne vous imaginez pas que votre vie de jeune femme puisse ressembler à votre vie de jeune fille. Vous devez vous montrer dans le monde, recevoir, ne point paraître cloîtrer votre grand homme. Il faut songer aux intérêts de votre mari… Je vous emmène, allons.

Ce dialogue, qui se renouvelait à chaque visite de la baronne, ne tarda pas à me devenir fastidieux. L’extrême simplicité de mes habitudes me donnait peu de besoins, et l’obligation d’une vie affairée, compliquée de mille soucis frivoles, m’effrayait et m’agaçait quelquefois. Mon oncle m’avait appris la nécessité de la vie intérieure, où se fortifient, en se concentrant, toutes nos puissances de pensées et d’amour. Il m’eût été doux de continuer cette vie, que le bonheur nouveau faisait plus intime encore et plus exquise. Mais il semblait toujours que le temps nous manquât. Maurice avait mille choses à me raconter qui ne nous concernaient ni l’un ni l’autre, mille démarches à faire qui n’intéressaient point notre amour. Les représentations de Sapho, les préparatifs de notre future installation, les multiples devoirs d’un homme à la mode absorbaient sa vie. Il attachait une grande importance à des choses que je jugeais secondaires et dont il me montrait l’utilité.

« Quand nous serons mariés, me disais-je, je ferai sentir à Maurice qu’il faut réagir contre cette invasion des étrangers dans notre existence. Madame de Nébriant compte diriger notre vie ; elle se trompe étrangement, je ne tiens guère à ces fêtes d’orgueil qu’elle me fait entrevoir, et je crains même que Maurice ne se livre trop aisément aux importuns. L’homme que j’aime en lui, c’est, le poète, ce n’est pas l’élégant Parisien, le héros du jour… »

J’aurais bien voulu expliquer cela à madame de Nébriant, mais elle était incapable de comprendre. Maurice, quand j’essayais une gronderie tendre, haussait les épaules et souriait.

— Pourquoi vous plaindre, disait-il, de ce qui ferait l’orgueil d’une autre femme ? Le ruban rouge, le persil académique ont peu de prestige à vos yeux, Mais croyez-vous que je sois prêt à verser des larmes heureuses sur le « signe de l’honneur », comme disent les instituteurs de province et les capitaines d’habillement ! Croyez-vous que je sois tourmenté de la folle envie de m’habiller en général malgache pour distribuer des prix de vertu, en séance solennelle ?

Je riais malgré moi :

— Vous raillez peut-être vos plus chers désirs… Oh ! certes, le ruban rouge et le persil académique, c’est démodé, c’est un peu ridicule… Cependant…

— Cependant, tout le monde est décoré, et presque tout le monde entre, ou manque d’entrer à l’Académie… Il faut bien faire comme tout le monde… Le ruban rouge, c’est le bachot de l’homme de lettres… Ça ne prouve rien, mais ça coûte si peu, et ça fait tant plaisir aux familles !

Il ajoutait d’un ton sérieux :

— Que vous importe tout cela, chère Hellé ! Aimez-moi comme je vous aime… Que je sois admiré, redouté, cherché, jalousé, — je n’en aurai que plus de joie à me sentir votre bien.


XXIV


Un après-midi, j’attendais madame de Nébriant et Maurice. Ils avaient découvert, à Auteuil, un petit hôtel qui leur plaisait beaucoup, et que je devais visiter avec eux.

Nous ne pouvions plus faire un pas maintenant, sans l’indispensable baronne, dont Maurice acceptait bénévolement l’intrusion dans tous nos projets. Depuis que nous étions fiancés, il s’apercevait que ma situation de jeune fille à peine