Page:Tinayre - L Amour qui pleure.djvu/183

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intuitions singulières… Au fond, c’est triste, tout ça !… »

Il voudrait se moquer de lui-même ; mais une émotion douce l’envahit.

« C’est vrai, je ne suis pas vieux, même pas vieilli… et, si j’avais rencontré l’autre, ma pauvre chère Cléri… certes, mon cœur aurait battu comme autrefois… Autrefois !… Ah ! le goût d’autrefois, la saveur de la vie sur mes lèvres… Que c’était beau, et bon, et ridicule, et enivrant, cet autrefois !…

« L’amour que j’avais, le talent que j’aurais pu avoir, c’était la même chose, et je me croyais poète parce que j’étais amoureux. La maîtresse est partie, et la poésie avec elle. Je n’ai pas pu, ou su, ou voulu les retenir. J’ai été raisonnable… Et maintenant, c’est la médiocrité. »

Il revoit sa classe, les rues maussades, la maison où sa femme placide écume des confitures. La sagesse, oui, peut-être le bonheur — et aussi l’enlisement.

« Après tout, je n’ai guère plus de quarante ans. À quarante ans, on est jeune, ou du moins on est « un jeune ». Tels et tels, qui débutèrent à mon âge, ont réussi… Douze ans de province,