Page:Tinayre - L Ennemie intime.pdf/110

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Vous tâchez de me faire dire des choses compromettantes. Alors, je déclare que je ne parlerai plus.

— Qu’en présence de votre avocat… La phrase est classique.

— Que voulez-vous dire encore !

— Que, même convaincu de votre probité, de votre sincérité, je ne pourrai empêcher mon beau-frère de penser qu’il y a des trous dans votre belle construction, des trous dans votre raisonnement, par où la justice glissera un coup d’œil investigateur. Si Raymond — pure hypothèse ! — non content de revendiquer sa part de la succession paternelle, et sa maison natale en particulier, si Raymond conteste la dette, demande une enquête, entame un procès en captation… Cela vaut la peine d’y réfléchir, ma bien chère demoiselle. Votre situation n’est pas si nette que vous le pensez. Vous êtes jeune… J’entends : en affaires… Vous ignorez combien retors, sagaces, tenaces et clairvoyants peuvent être les chicanous et les chats-fourrés… Voyez, Me Beausire sourit malgré lui ! Il les connaît !… À bien y penser, je tremble pour vous. Et voyez encore : Me Beausire ne sourit plus. Il hésite, par bonté d’âme, à vous consterner en vous faisant entrevoir les conséquences épouvantables…

— Vous vous moquez de moi, monsieur ! dit Renaude en se levant… Maître Beausire, me laisserez-vous insulter chez vous ?

— M. Alquier plaisante, dit le notaire. Mais il y a, dans ce qu’il dit, une part de vérité. Tout testament est contestable. Et c’est grand dommage que, pour la donation faite par votre cousin, les formes légales n’aient pas été observées. Pourtant, je suis persuadé qu’avec de la bonne volonté vous arriverez à vous entendre tous, car un procès, cela mène loin, et une transaction…

— Il suffit, maître Beausire, j’en ai assez entendu. Je ne céderai rien de mes droits, rien. Je vous confie le soin de les défendre et je me retire… Quant à vous, madame, qui ne dites rien et qui devriez vous souvenir que votre père a parlé, devant vous, de ses embarras, vous qui vous taisez parce que vous avez peur de votre mari, je vous conseille de me laisser en repos. Je retourne à la maison. Vous pouvez y revenir aussi. Je ne désire pas le scandale. Je veux me conduire correctement… Mais la maison est à moi ! cria-t-elle avec un accent qui fit tressauter Me Beausire.


Elle était déjà dans la salle où les clercs grossoyaient, et elle vociférait encore.

Alquier se tourna vers le notaire ;

— Voilà… Vous avez entendu ?…

Et il déclama, avec une comique emphase :

La maison m’appartient, je le ferai connaître.
Molière. Tartuffe, acte IV.



II


Geneviève se débarrassait de ses crêpes. Lucien, allongé dans le fauteuil à bouquets, se frotta les mains :

— Eh bien, que vous avais-je dit ?… Vôtre Vipreux !… Il faut venir dans la petite province pour trouver de ces figures prodigieuses. Le renard et la vipère en une seule vieille fille. Vraiment, je me console du temps que je perds dans ce trou de Villefarge, parce que j’y vois cette Renaude Vipreux que personne ne sait voir : tartuffe femme ! Un type admirable, et beaucoup plus intéressant pour moi que les Lacoste, les Beausire, les Bausset. Je suis probablement le seul qui la comprenne,