Page:Tinayre - L Ombre de l amour.djvu/25

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empêchée d’être sœur ?… Ma mère a d’autres enfants que moi… Madaloun va sur quinze ans… Elle est forte, et rude au travail !… Encore une couple d’années, ça ferait une femme pour le Lionassou… Mais moi, pauvre de moi !… Je ne suis point bâtie pour la besogne de la terre, et je n’ai point le cœur au mariage… Vous les connaissez, mademoiselle, les gars de chez nous, les noces de chez nous !… Point de gentillesse, point d’amitié !… Les gens n’ont de plaisirs que l’argent, le bien, la mangeaille… Oh ! cela ne me plaît point… Mon idée, mademoiselle, c’était d’être sœur converse, à Tulle, chez les Ursulines, ou bien à l’hôpital… J’aurais aimé ça : prier, travailler, parler doucement, soigner les malades, puisque je n’avais pas assez d’instruction pour faire l’école… Et que les malades disent : « En voilà une qui nous aime bien… » Mon Dieu ! quel bonheur pour moi !… C’était trop beau… Pourquoi les parents n’entrent-ils jamais dans les idées des enfants ?… On veut me marier… Monsieur le docteur lui-même se moque de moi. Il me dit : « Tu ne sais pas ton vrai devoir… Tu n’as pas le courage d’être une femme… Marie-toi. Tu seras plus jolie et tu te porteras mieux… » Hélas !… Notre-Seigneur regarde le cœur, et non pas la figure… Et puis…

Elle rougit violemment, étonnée de sa hardiesse, mais la phrase audacieuse partait déjà :

— Vous, mademoiselle Denise, on ne vous querelle point… et pourtant vous n’êtes pas mariée.