Aller au contenu

Page:Tinayre - La Chanson du biniou, paru dans Le Monde illustré, 1890.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ainsi, dans ce cœur blessé par un amour indigne, la lutte s’était livrée et le noble amour avait vaincu… Ils étaient loin, à présent, les beaux discours des étrangers qui trompent et qui mentent. la vraie beauté, la vraie noblesse, le charme éternel qui sort d’un cœur loyal avaient pris l’âme de cette révoltée qui se croyait morte à l’amour. Elle s’apercevait, maintenant, qu’elle n’avait jamais connu, jamais entrevu l’amour véritable, l’amour qui est autre chose qu’un trouble des sens ou qu’un enivrement de la vanité satisfaite, l’amour béni, immortel, indissoluble, qui lie les amants jusqu’à la mort… Et voici qu’il l’envahissait tout entière, rajeunissant sa jeunesse, transfigurant sa beauté. L’époux avait conquis l’épouse. Leurs âmes s’étaient parlé, leurs lèvres s’étaient unies et il l’emportait, victorieux, sur son cœur.

La nuit proche assombrissait le ciel au-dessus des landes. Des parfums agrestes montaient du ravin endormi. C’était un soir de silence, de paix, de recueillement ineffable. La campagne semblait un désert où les menhirs se perdaient, gris sur la terre grise. Et tandis qu’Yann, enlevant sa femme dans ses bras, l’emportait vers le seuil noir qui était pour eux le seuil d’un paradis de délices, là-haut, bien haut, sur leur chaumière, en plein azur, l’étoile d’amour se levait, resplendissante.

Gilbert Doré.