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LA MAISON DU PÉCHÉ

frissonnait plus fort sous ses châles et suivait le jeune homme d’un regard triste et jaloux.

Augustin ne regardait pas les filles. Et toutes le disaient fier et sauvage, un peu « toqué ». sans doute comme ses parents : de la « graine de curé, qu’on mettrait bientôt au séminaire ».

Mademoiselle Courdimanche avait répandu ce bruit dans la ville. Il lui paraissait impossible que le « petit ange » n’eût pas la vocation. Elle tâcha de confesser le jeune homme. Augustin répondit tout net : la fonction du prêtre, si belle, si haute, l’effrayait. Il n’avait pas senti encore le mouvement intérieur, l’impulsion décisive de la grâce. À dix-neuf ans, ses études achevées, il commençait d’administrer son patrimoine, avec une gravité de jeune Romain, roi dans sa maison, roi sur sa terre. Testard, le métayer du Chêne-Pourpre, l’initiait à l’agriculture. Et ces travaux rustiques, en fortifiant sa santé, lui laissaient le loisir de la méditation et de la lecture. Augustin se trouvait parfaitement heureux. Sa foi n’était pas moins vive, sa piété moins scrupuleuse qu’au lendemain de sa première communion. Dur pour lui-même, doux pour les autres, il méprisait les plaisirs du monde, qu’il ignorait, les voluptés des sens, qu’il devinait avec un dégoût mêlé de crainte. L’amour divin comblait son âme et trompait la nostalgie naissante d’un autre amour.

M. Forgerus, satisfait de son œuvre, pensait au départ. Avant de rejoindre M. de Grandville, il voulut faire une courte retraite dans l’abbaye cistercienne de Saint-Marcellin, dont le prieur était son ami d’enfance. Et ce fut la première séparation, depuis sept ans, ce