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Page:Tinayre - La Maison du péché, 1902.djvu/98

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faut que j’y mette la main, dit-elle. Permettez-moi de ceindre un tablier.

— Fanny, je suis confus… Pourquoi votre servante ne reste-t-elle pas toute la journée ?

— Parce que… Ce sont des affaires domestiques sans intérêt, un peu ridicules, et qui ne vous regardent pas… Voici des livres, des journaux. Prenez patience.

Seul, dans l’étroite clairière, à l’ombre du grand châtaignier, Barral ne toucha point aux journaux. Il rêvait.

Georges Barral avait trente-cinq ans. Il était assez riche pour que le travail lui fût un plaisir. Çà et là, il écrivait d’ironiques et jolies « chroniquettes » dont il ne tirait point vanité. L’art d’écrire l’intéressait moins que l’art de vivre. Barral savait vivre. Il pratiquait ce qu’il appelait l’égoïsme supérieur. Aucune des humbles joies que les prétendus délicats affectent de mépriser ne lui paraissait négligeable. Il vantait, avec une égale éloquence, la bonne chère, les belles femmes et les beaux livres. Il voyait « en beauté » les choses les plus vulgaires de l’existence, et savourait précieusement les mille petites voluptés quotidiennes qui composaient son bonheur.

Les sots le disaient « matérialiste». Barral connaissait les sens baroques de cette épithète, et il s’en amusait infiniment. On prétendait aussi qu’il vivait dans la débauche, ayant abandonné femme et enfant, et cette légende, colportée partout, avait ému Fanny Manolé elle-même. Barral, pour rassurer son amie, avait dû lui confier la vérité. Très jeune, il avait épousé une très jeune fille, élevée en province, et dévote jusqu’au fanatisme, le type idéal de « l’oie